Patterns d’interactions écrites asynchrones entre des classes branchées en réseau

Stéphane Allaire
Thérèse Laferrière

Auteurs

Stéphane Allaire, professeur, Université du Québec à Chicoutimi. Courriel : Stephane_Allaire@uqac.ca

Thérèse Laferrière, professeure, Université Laval.

Résumé

L’étude s’inscrit dans le contexte de l’initiative québécoise de l’École éloignée en réseau (l’ÉÉR) visant à enrichir la qualité de l’environnement d’apprentissage des petites écoles rurales. L’étude s’intéresse de façon spécifique aux interactions asynchrones qui surviennent entre des classes distantes géographiquement par le biais d’un forum électronique de coélaboration de connaissances (le Knowledge Forum®). Nous nous sommes penchés sur le cas spécifique d’une commission scolaire en documentant la façon dont les interactions qui ont eu lieu entre les élèves de ses écoles impliquées dans l’initiative se sont orchestrées sur une période de deux années scolaires. Pour ce faire, nous avons principalement utilisé des analyses quantitatives descriptives. Les résultats démontrent la viabilité du modèle de mise en réseau pour faire interagir des élèves de classes différentes de sorte qu’ils puissent bénéficier d’un plus large bassin d’idées. Ils révèlent aussi que la collaboration en réseau s’organise autour de différents niveaux de complexité et que cette dernière varie selon les temps de l’année scolaire.

Abstract

This study was conducted in the context of the Remote Networked Schools (RNS) initiative that aims at enriching Quebec’s rural schools learning environment. Specifically, the researchers studied how geographically distant classrooms interacted on Knowledge Forum®, a web-based collaborative space. The particular case of a school board was studied by documenting how school learners interacted asynchronously over a two year period. Descriptive quantitative analyses were applied. Results show the viability of the RNS model for student to student interaction in a way as to increase the idea pool. Results also reveal that network collaboration self-organizes at different levels of complexity, ones that vary according to the school-year schedule.

Introduction

La place de la dimension sociale dans le processus d’apprentissage a considérablement gagné en reconnaissance scientifique depuis l’époque où John Dewey mentionnait que l’expérience sociale la plus considérable est celle du langage. Il soutenait, dès les années 1930, que l’éducation devait offrir aux élèves un environnement leur permettant de prendre part à des activités s’apparentant aux réalités sociales – donc ancrées de façon inhérente dans des interactions avec autrui – du moins en alternance avec l’accomplissement de tâches de mémorisation et de récitation dénudées de contexte. Ainsi, l’élève se définirait-il comme individu, avec et par autrui, et participerait aussi à la définition d’autrui.

Si d’aucuns peuvent arguer qu’il s’agit d’énoncés à caractère davantage philosophique que scientifique, les travaux de recherche d’autres pionniers tels Piaget, Bruner et, bien sûr, Vygotsky avec ses études portant sur le rôle du langage dans le développement de la pensée et des fonctions psychiques supérieures, ont pavé le chemin de plusieurs théories contemporaines de l’apprentissage. Qu’il s’agisse de la cognition située (Brown, Collins & Duguid, 1989; Greeno, 1998; Lave, 1989; Lave & Wenger, 1991; Rogoff, 1991; Schoenfeld, 1985), de la cognition distribuée (Cobb, 1997; Hollan, Hutchins & Kirsh, 1999; Hutchins, 2000; Salomon, 1993;), de l’apprentissage expérientiel (Combs, 1982; Kolb, 1984) ou de la flexibilité cognitive (Spiro, Feltovich, Jacobson & Coulson, 1992), toutes ont démontré la place importante qu’occupent les interactions sociales dans l’élaboration des représentations. Notamment, les interactions servent d’élément médiateur entre les croyances épistémologiques de l’apprenant et les connaissances individuelles ainsi que celles socialement reconnues (Cobb & Yackel, 1996; Schommer, 1994). Le processus de construction est alimenté par les tentatives de résolution de points de vue divergents (Perret-Clermont, 1980) et de recherche d’un consensus (Barnes & Todd, 1977). Il prend forme à travers la réappropriation d’information et la verbalisation d’une interprétation ou d’une solution (Levina, 1981). Le besoin de se distancier d’un point de vue personnel pour en comprendre un autre contribue aussi au processus de construction (Sigel, 1981).

Duffy et Cunningham (1996) soulignent que de telles considérations font maintenant en sorte qu’une partie importante du travail de l’enseignant ne devrait plus tant consister à transmettre un savoir, mais plutôt à soutenir la démarche de construction de connaissances des élèves, par la mise en place d’éléments qui contribuent à diversifier les interactions à l’intérieur d’un environnement d’apprentissage riche (Reeves, 1992). Perkins (1991) identifie cinq facettes d’un tel environnement. On y retrouve des sources d’information et de contenus variés, entre autres, des ressources humaines et matérielles. Des pratiques supportant la construction des connaissances sont mises en place en vue de mobiliser ce qui est connu par les élèves et de stimuler la négociation des interprétations et leur mise à jour. Des outils de manipulation et d’organisation de concepts et de symboles sont utilisés. Des occasions d’expérimentation, de mise à l’essai, de simulation ou de modélisation de situations, de phénomènes et d’événements sont exploitées. Enfin, des stratégies de gestion et d’organisation sont utilisées afin d’orchestrer efficacement le déroulement des activités.

Or, que survient-il lorsqu’un environnement d’apprentissage donné ne dispose pas de ces éléments? Par exemple, que survient-il lorsqu’une petite école rurale ne peut avoir accès à une gamme de ressources aussi vaste que celles dont disposent des écoles de plus forte taille? Que survient-il lorsqu’une de ses classes multiâges dénombre si peu d’élèves qu’elle ne peut permettre de soutenir de façon satisfaisante une diversité d’interactions sociales au sein de son groupe? La qualité de l’environnement d’apprentissage devient alors un enjeu, et la question de la réussite scolaire des élèves peut aussi se poser.

C’est avec ces préoccupations en tête que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) du Québec, le Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO) et une équipe de recherche interuniversitaire ont démarré l’initiative d’innovation de l’École éloignée en réseau (ÉÉR) au début des années 2000 (Allaire, Beaudoin, Breuleux, Hamel, Inchauspé, Laferrière & Turcotte, 2006; Laferrière & Breuleux, 2002; Laferrière, Breuleux & Inchauspé, 2004). Dans un contexte de mouvements démographiques qui affectent négativement les effectifs étudiants, voire qui menacent la survie de certaines écoles rurales, la mise en réseau a été envisagée pour relier des classes entre elles afin d’enrichir l’environnement d’apprentissage, entre autres, en augmentant leurs possibilités d’interaction sociale. Deux types d’interactions ont été ciblées, soit celles qui mettent de l’avant la communication verbale synchrone et la communication écrite asynchrone. Ainsi, par le biais d’Internet à haute vitesse et de deux outils de télécollaboration (vidéoconférence et forum électronique de coélaboration de connaissances), des élèves ainsi que des enseignants de classes et d’écoles différentes peuvent élargir leur environnement d’apprentissage local en face à face et participer, en partenariat avec d’autres, à des activités qui se déroulent en réseau du lieu même de leur classe.

À partir du moment où des écoles d’une commission scolaire disposent de tels moyens et qu’elles font partie d’un regroupement d’écoles en réseau, il devient pertinent de documenter la fréquence des interactions qui se produisent entre les classes qui travaillent ensemble, de même que l’organisation des moments d’interactions (patterns) au fil d’une année scolaire. C’est ce qui est présenté dans cet article, et nous nous concentrons spécifiquement sur les interactions qui surviennent par le biais de la communication écrite asynchrone. Une telle étude veut contribuer à une meilleure compréhension de la façon dont les interactions en réseau s’arriment à la dynamique locale de la classe et permettre de dégager des patterns de collaboration entre les classes.

Cadre de référence

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) permettent de transformer le rapport au temps, à l’espace et aux personnes, et c’est à ce titre que leur principal avantage leur est souvent conféré (Zhao & Rop, 2001). Les technologies qui mettent l’accent sur la communication écrite asynchrone, par exemple les forums électroniques, sont particulièrement propices à cette fin puisqu’elles permettent des interactions temporellement différées et qui sont indépendantes de l’emplacement géographique des collaborateurs (Waggoner, 1992). Le principe est le suivant : le forum agit à titre de lieu d’apprentissage commun, en prolongeant ce qui se déroule en face à face chez les élèves, et conserve en mémoire les contributions écrites des uns et des autres qui peuvent alors y accéder à tout moment et y interagir. Le lieu est collectif et il supporte les interactions de type «plusieurs à plusieurs». Ainsi, en plus des interactions en temps réel qu’ils vivent au sein même de leur classe, les élèves peuvent prendre part à d’autres interactions qui impliquent des camarades différents.

Dans le cadre de l’ÉÉR, le Knowledge Forum® a été utilisé pour soutenir les interactions écrites asynchrones. Les apprenants y interagissent à des fins de collaboration, entre autres, pour coélaborer des connaissances (Bereiter & Scardamalia, 2003) et les affordances de l’outil ont été réfléchis et conçus à cette fin (Allaire, 2006). Par coélaboration de connaissances, il est entendu le processus délibéré d’amélioration d’idées qui ont de la valeur pour une communauté donnée (par exemple, une équipe de recherche, un groupe d’ingénieurs, une classe) en vue d’en accroître les connaissances. Il s’agit d’une dynamique éminemment sociale puisqu’elle s’ancre dans le capital culturel existant, mais aussi parce que sa complexité requiert l’interaction de connaissances et de compétences individuelles (International Scientific Committee on Communities of Learners (IsCoL), 2001) par le biais du discours progressif (Bereiter & Scardamalia, 1993).

Pour des élèves du primaire et du secondaire de classes branchées en réseau, coélaborer des connaissances signifie l’adoption progressive d’une posture d’apprenti chercheur. À partir de questions et de problèmes authentiques communs qui sont souvent d’abord définis localement avec les élèves d’une même classe, des classes différentes, coordonnées par leurs enseignants, élargissent ensuite leurs frontières (IsCoL, 2001) en se rejoignant par Internet pour partager ce qu’elles connaissent à propos du sujet, formuler des hypothèses à investiguer, échanger des informations probantes visant à confirmer ou infirmer les théories personnelles formulées, soulever des remises en question, proposer de nouvelles compréhensions au phénomène, à l’événement traité, etc. En d’autres mots, ils investiguent ensemble des questions à propos d’objets qui peuvent concerner tout domaine d’apprentissage : français, mathématique, sciences, technologie, santé, univers social, éthique, etc. Progressivement, par les interactions écrites asynchrones qui prennent forme, une compréhension collective s’échafaude par un travail collectif distribué entre les élèves de classes géographiquement distantes. Dans un tel contexte, l’entité locale de la classe demeure, car c’est néanmoins à partir d’elle que les activités s’effectuent, incluant celles en réseau. D’ailleurs, IsCoL (2001) précise l’importance de la présence d’une cohésion interne à travers l’ouverture sur le monde que manifeste une classe, communauté d’apprentissage. Aussi, ce qui se réalise en réseau est-il susceptible d’alimenter ce qui se déroule en face à face lorsque les élèves et leur enseignant travaillent au sein de la classe.

Lorsque les élèves interagissent en réseau, chacun est considéré comme un auteur et ses contributions y sont explicitement identifiées. Trois principales affordances lui permettent d’interagir. C’est à partir d’elles que nous avons étudié les patterns d’interactions rapportés dans cet article. D’abord, un élève peut écrire une nouvelle note. Cela lui permet de partager une idée qui n’a pas encore été traitée dans le cadre du questionnement ou du problème authentique que la classe ou les classes en réseau cherchent à mieux comprendre. Ensuite, l’élève peut aussi élaborer à partir d’une note existante. Dans ce cas, ce qu’il cherchera au mieux à faire, c’est améliorer les idées existantes afin d’en approfondir leur compréhension. De plus, un élève peut choisir de corédiger une note avec un pair. Ainsi, dans le contexte de cette étude, le concept d’interaction en réseau a été considéré de la façon suivante : toute note qui apporte du nouveau contenu ou fournit une élaboration sur un contenu antérieur rédigé par un élève (ou des élèves dans le cas d’une note corédigée) d’une classe contribuant à une investigation définie. Plus les élaborations s’enchainent, plus le discours collectif est susceptible d’atteindre un niveau de profondeur accru. À titre d’exemple, l’enfilade suivante (une séquence d’élaborations reliées) illustre un niveau de profondeur 3.

Nouvelle note qui amorce l’enfilade (a) (Niveau de profondeur 1)

Élaboration visant à enrichir la note «a» (b) (Niveau de profondeur 2)

Élaboration visant à enrichir la note «b» (c) (Niveau de profondeur 3)

Des études antérieures ont mis en lumière un certain nombre de patterns d’interactions par le biais d’outils collaboratifs asynchrones. Hakkarainen et Palonen (2003) et Palonen et Hakkarainen (2000) ont illustré que les élèves de même sexe avaient tendance à interagir davantage entre eux. Une telle tendance n’avait cependant pas été constatée dans le cadre de l’étude de Lipponen, Rahikainen, Hakkarainen et Palonen (2002).

D’autre part, les filles auraient tendance à interagir davantage que les garçons lorsque la tâche à effectuer est de l’ordre de l’avancement des idées collectives, alors que ce sont les garçons qui seraient davantage actifs lorsque la tâche s’apparente à l’acquisition de connaissances factuelles (Hakkarainen & Palonen, 2003).

Par ailleurs, la symétrie des interactions qui se déploient entre les participants semble être tributaire du contexte social plus large mis en place (Bielaczyc, 2001). Par exemple, Lipponen, et al. (2002) ont constaté une asymétrie importante dans les interactions asynchrones qui se sont déroulées au sein d’une classe alors qu’un élève a largement dominé les échanges et que deux autres sont demeurés en périphérie. En contrepartie, Palonen et Hakkarainen (2000) ont constaté une répartition équitable des interactions entre les participants.

Malgré les divergences de résultats et les différences entre les contextes dans lesquels ils ont été obtenus, les études portant sur les patterns d’interactions asynchrones ont néanmoins un dénominateur commun, à savoir qu’elles ont été effectuées à l’intérieur d’une même classe. Aucune s’intéressant aux interactions de classes et d’écoles distinctes n’a pu être recensée.

Méthodologie

Nous avons choisi d’étudier le cas spécifique d’une commission scolaire (A) impliquée dans l’initiative de l’ÉÉR. Ce choix a été effectué afin de pouvoir obtenir un portrait d’ensemble des interactions en réseau sur une période longitudinale. Ainsi, les interactions écrites asynchrones, c’est-à-dire celles qui ont eu lieu sur le Knowledge Forum®, de toutes les écoles en réseau de la commission scolaire ciblée (n=2) ont été documentées sur une période de deux années scolaires (2006-2007 et 2007-2008), soit la période qui correspond à la phase 3 de l’ÉÉR1. Le choix de la commission scolaire s’explique du fait qu’elle représente un cas type en regard de la principale visée de l’initiative de l’ÉÉR, soit l’enrichissement de l’environnement d’apprentissage des élèves. En effet, une de ses écoles (A) est très petite (moins de 20 élèves) et l’autre (B) est petite (moins de 100 élèves). De plus, toutes les classes sont multiâges. De telles caractéristiques sont importantes dans la définition du profil des écoles à qui s’adresse l’ÉÉR; c’est pourquoi il était pertinent de s’intéresser au cas de la commission scolaire retenue. Les deux écoles sont d’ordre primaire et, au total, elles dénombrent cinq classes. Quatre d’entre elles ont participé à des interactions en réseau au cours des deux années scolaires ciblées par l’étude. De plus, une classe d’ordre primaire d’une autre commission scolaire (B) a eu l’opportunité d’interagir en réseau avec elles du fait de l’établissement de collaborations entre enseignants. Le Tableau 1 illustre les classes en réseau qui ont eu la possibilité d’interagir.

Tableau 1: Classes en réseau participantes

table 1

Toutes les activités d’apprentissage en réseau qui ont été effectuées à l’intérieur de la base de données Knowledge Forum® de la commission scolaire ciblée (A) pour les années scolaires 2006-2007 et 2007-2008 ont été considérées. En général, une activité d’apprentissage correspondait à la création d’un nouvel espace d’échanges (perspective) dans la base de données. Les enseignants ont choisi les activités en réseau à mettre en place pour leurs élèves. Ce sont eux qui les ont planifiées, à partir d’intentions pédagogiques qui s’appuyaient sur les prescriptions du Programme de formation de l’école québécoise (MEQ, 2001). Ils ont aussi déterminé leur moment de réalisation et leur durée, et ils se sont chargés de l’accompagnement des élèves. Au total, 34 activités ont été recensées, dont 23 ont eu lieu en 2006-2007 et 11 en 2007-2008.

Pour déterminer le nombre d’interactions qui ont eu lieu dans le cadre de chaque activité, un décompte manuel a été jumelé à l’utilisation d’un outil d’analyse statistique (Analytic toolkit, Burtis, 20012). À partir des listes d’élèves des classes participantes, nous avons repéré à quelle classe appartenait chaque interaction écrite asynchrone (nouvelle note, élaboration, ou note corédigée) des 34 lieux d’échanges (perspectives) correspondant aux activités d’apprentissage. Nous les avons ensuite dénombrées. La totalité des analyses ont été effectuées par la même personne. Une fois complétées, un échantillon de cinq perspectives a été choisi de façon aléatoire pour vérifier les résultats obtenus. Un décompte des interactions a été effectué par une seconde personne. Un taux de fiabilité de 100 % a été obtenu, c’est-à-dire que les deux personnes ont obtenu le même décompte pour les cinq perspectives qui ont servi à la vérification. Par la suite, des regroupements ont été effectués afin de déterminer les classes qui ont travaillé ensemble en réseau et de quelle façon ce travail s’est réparti sur l’ensemble des deux années scolaires étudiées.

Une mesure de densité est utilisée par des auteurs (Borgatti, Everett & Freeman, 1996; Hakkarainen & Palonen, 2003; Lipponen, et al., 2002; Palonen et Hakkarainen, 2000; Scott, 1991) pour déterminer le volume d’interactions qui surviennent entre les individus. Cette mesure représente le nombre de connexions (élaborations) observées entre les participants, divisé par le nombre total de connexions possibles. Par exemple, une mesure de densité correspondant à 0 signifie qu’il n’y a aucune connexion entre les participants alors qu’une mesure de 100 indique que chaque participant interagit avec la totalité des autres.

Dans le cadre de cette étude, cette mesure a été adaptée afin de considérer, au premier chef, la dimension interclasse qui est particulière au contexte de l’ÉÉR. Par conséquent, pour obtenir une mesure de densité interclasse plutôt qu’interindividuelle, nous avons divisé le nombre d’élaborations effectuées à partir d’une note écrite par un élève d’une autre classe par le nombre total d’élaborations, soit une note reliée à une note antérieure et à son contenu. L’exemple fictif suivant permettra ensuite d’illustrer le calcul.

textbox 1

Au total, la séquence ci-dessus renferme cinq élaborations. Trois élaborations (1, 2 et 4) ont été effectuées à partir d’une note d’un élève d’une autre classe. Ainsi, dans un tel cas, il s’agirait de diviser 3 par 5 pour obtenir la mesure de densité interclasse, ce qui donnerait une densité de 60 %.

Résultats

Dénombrement des activités en réseau

Un premier résultat concerne la répartition des activités selon le nombre de classes impliquées. Pour l’ensemble de la période étudiée (2006-2008), 23 activités interclasses (deux classes et plus) ont été réalisées comparativement à 11 qui se sont déroulées au sein d’une seule classe en réseau. La Figure 1 illustre la répartition détaillée selon le nombre de classes impliquées alors que le Tableau 2 présente l’objet d’investigation de chaque activité interclasse réalisée en réseau.

figure 1

Figure 1: Répartition des activités qui ont sollicité des interactions écrites asynchrones selon le nombre de classes participantes

On remarque que le mode de collaboration le plus emprunté a été celui qui a impliqué du travail en réseau entre deux classes (18 activités), ce qui représente 53 % de l’ensemble des activités et 78 % des activités interclasses. Autre fait à noter, la proportion des activités interclasses a augmenté entre les deux années, passant de 65 % en 2006-2007 à 73 % en 2007-2008.

Tableau 2: Objets d'investigation des activités interclasses en réseau

table 2

Parmi les 23 activités interclasses recensées, 20 se rapprochaient de la dynamique de coélaboration de connaissances au sens où les enseignants ont amené les élèves à prendre part à une démarche d’investigation à partir d’un questionnement. Les trois autres activités (5, 6 et 16) étaient davantage de l’ordre de la rédaction d’histoires collectives.

Activités et interactions interclasses

Les résultats qui suivent se concentrent sur les 23 activités interclasses qui ont eu lieu. De façon générale, elles se sont distribuées sur l’ensemble des mois des deux années. Cette distribution a cependant été un peu plus constante au cours de l’année 2006-2007. La Figure 2 détaille la répartition pour chaque mois de la période étudiée.

figure 2

Figure 2: Répartition des activités par mois

Au total, 466 interactions ont été dénombrées, ce qui représente une moyenne de 20 interactions pour chacune des 23 activités réalisées. La Figure 3 illustre la répartition des interactions selon les classes en réseau participantes.

figure 3

Figure 3: Répartition des interactions par classe en réseau

On remarque que la classe qui a interagi le plus (b) appartient à la très petite école (A). Cela représente une participation à 22 des 23 activités. L’autre classe (a) de cette école a peu interagi (6 %), ce qui représente néanmoins une implication dans huit activités. Le petit nombre d’interactions pourrait s’expliquer par le fait que les élèves du premier cycle soient moins familiers avec l’écriture et qu’ils aient plutôt pris part à des interactions verbales synchrones qui elles n’ont pas été étudiées dans cet article. Quant aux trois autres classes, dont deux (c et d) proviennent de l’école B appartenant à la même commission scolaire et une (e) provient d’une école (C) d’une autre commission scolaire (B), elles ont contribué aux interactions en réseau dans des proportions semblables (17 à 22 %). Elles ont respectivement pris part à 8, 14 et 5 activités requérant des interactions écrites asynchrones.

Tel que mentionné précédemment, on a dénombré en moyenne une vingtaine d’interactions par activité, la moins active en comptant trois comparativement à 60 pour la plus active. Ce constat, combiné à un écart type élevé (16), laisse croire que certaines activités sont demeurées non terminées.

Complexité de l’organisation de la collaboration

Par ailleurs, quatre niveaux de collaboration interclasse, que l’on peut distinguer selon la complexité de leur organisation, se sont déployés. Ils sont représentés au Tableau 3.

Tableau 3: Niveaux de collaboration interclasse et nombre d'activités vécues

table 3

On remarque que le niveau le plus emprunté est le second, soit celui qui implique deux classes d’écoles différentes, mais de même cycle. Cela porte à croire que les enseignants qui travaillent en réseau sont surtout à la recherche de partenaires qui partagent un contexte semblable au leur.

En outre, lorsqu’on observe le déploiement des niveaux de collaboration tout au long des deux années couvertes par l’étude (phase 3 du projet de recherche ÉÉR), on remarque trois principales tendances qui sont représentées à la Figure 4.

figure 4

Figure 4: Évolution des activités interclasses selon le niveau de collaboration

D’abord, en début de phase, c’est-à-dire au début de l’année scolaire 2006-2007, un niveau de collaboration plus simple a été préféré alors que, dans sept activités sur huit, deux classes de même cycle et d’écoles différentes ont travaillé ensemble en réseau. En milieu de phase, c’est-à-dire dans la seconde moitié de l’année scolaire 2006-2007, l’organisation de la collaboration est devenue plus complexe. En effet, pour quatre des sept activités, au moins trois classes d’écoles et de cycles différents ont réuni leurs efforts en réseau. Finalement, en fin de phase, c’est-à-dire dans la seconde moitié de l’année scolaire 2007-2008, un retour à un niveau plus simple de collaboration s’est produit alors que six des huit activités ont impliqué deux classes de même cycle et d’écoles différentes. La fin de la deuxième année s’est même terminée par un retour à une dynamique locale d’école, l’activité 22 ayant été réalisée par les classes «c» et «d» de l’école B et les classes «a» et «b» de l’école A ayant pris part à l’activité 23.

Répartition des interactions selon les niveaux de collaboration

Les prochains résultats détaillent la répartition des interactions qui ont eu lieu pour chacune des activités selon le niveau de collaboration interclasse qu’elles ont impliqué. La Figure 5 illustre les activités du niveau 1, c’est-à-dire celui qui implique la participation de deux classes d’une même école.

figure 5

Figure 5: Répartition des interactions pour le niveau de collaboration 1, «Même école, 2 classes»

On remarque que, pour l’activité 22, les interactions écrites asynchrones se sont réparties de façon plutôt équitable entre les deux classes (c et d) de la petite école B. Il en va de même pour l’activité 23 qui elle s’est déroulée entre les classes en réseau de la très petite école A. Or, le faible nombre d’interactions dénombrées (n=3) illustre une activité non terminée, voire à peine amorcée, et ce, malgré le petit nombre d’élèves que l’on retrouve dans ces classes.

La Figure 6 illustre les activités du niveau 2 de collaboration interclasse, c’est-à-dire celui qui implique la participation de deux classes de même cycle provenant d’écoles différentes.

figure 6

Figure 6: Répartition des interactions pour le niveau de collaboration 2, «2 écoles, 2 classes, même cycle»

On remarque que la classe «b» de la très petite école (A) a pris part à 14 des 16 activités. Bien que cette classe ait collaboré avec d’autres classes de sa commission scolaire tout au long des deux années, elle semble avoir ressenti le besoin d’élargir encore davantage les frontières de sa classe en réalisant ses quatre dernières activités en collaboration avec une classe (e) d’une autre commission scolaire. En outre, bien que les interactions d’environ la moitié des activités se soient réparties de façon équitable entre les classes, il faut néanmoins souligner leur petit nombre. En ce qui a trait aux activités qui ont suscité davantage d’interactions (activités 1, 7, 10, 18, 19 et 21), on remarque une asymétrie dans la participation, c’est-à-dire qu’une des deux classes a interagi beaucoup plus que l’autre. Il semble que cette asymétrie ne soit pas nécessairement reliée au nombre d’élèves par classe puisque, pour les activités 1 et 7, la classe «b» de la très petite école a largement plus interagi que sa classe partenaire alors que ce fut le contraire pour les activités 18, 19 et 21.

La Figure 7 illustre les activités du niveau 3 de collaboration interclasse, c’est-à-dire celui qui implique la participation de trois classes de cycles différents qui proviennent de deux écoles distinctes.

figure 7

Figure 7: Répartition des interactions pour le niveau de collaboration 3, «2 écoles, 3 classes, cycles différents»

On remarque que bien que trois des quatre activités aient suscité un certain volume d’interactions (activités 5, 11 et 12), une asymétrie se dégage dans la participation. Comme c’était le cas pour le niveau de collaboration 2, cette disproportion ne semble pas nécessairement attribuable à la taille des classes.

La Figure 8 illustre les activités du niveau 4 de collaboration interclasse, c’est-à-dire celui qui implique la participation de quatre classes de cycles différents qui proviennent de deux écoles distinctes.

figure 8

Figure 8: Répartition des interactions pour le niveau de collaboration 4, «2 écoles, 4 classes, cycles différents»

Une seule activité de ce type a eu lieu au cours de la période couverte par l’étude et on constate que c’est une classe de la petite école qui a interagi le plus, les autres classes ne se contentant que d’un maximum de cinq interactions.

Densité interclasse et interindividuelle

Pour le niveau de collaboration ayant été le plus utilisé, soit le niveau impliquant deux classes de même cycle provenant d’écoles différentes, nous avons investigué plus en profondeur la répartition des interactions du point de vue des élèves pour vérifier dans quelle proportion ceux de la première classe élaboraient à partir des idées de ceux de l’autre classe. Pour ce faire, nous avons choisi l’activité 10 puisqu’elle présentait une répartition équitable des interactions entre les classes participantes; les élèves de la classe «b» ayant interagi à 16 reprises comparativement à 19 pour les élèves de la classe «d». À partir du calcul de la mesure de densité interclasse proposée dans la méthodologie, nous avons constaté que, dans 53 % des cas, c’est un élève (ou des élèves dans le cas d’une note coécrite) de la classe «b» qui élaborait à partir des interactions d’un élève de la classe «d», ou vice-versa. En contrepartie, dans 47 % des cas, les élaborations provenaient d’un élève de la même classe que l’auteur de l’interaction qu’il cherchait à enrichir.

Pour cette même activité, la mesure de densité interindividuelle s’est établie à 72,2 %, ce qui indique que, peu importe leur classe d’appartenance, une proportion importante d’élèves ont interagi avec l’ensemble des participants à l’activité. Les extraits suivants illustrent quelques élaborations effectuées par des élèves appartenant à des classes différentes au sujet des leviers. Ils devaient essayer de comprendre leur fonctionnement.

Exemple 1

Élaboration d’un élève de la classe «b» :
«Moi je dis qu'on peut prendre un levier dans l'ancien temps pour déplacer les voitures quand elles sont prises.»

Élaboration d’un élève de la classe «e» :
«J'ai besoin de comprendre ta théorie.»

Élaboration d’élèves de la classe «b» :
«C'est pour changer la roue en bois quand elle est brisée. Mais on peut encore l'utiliser aujourd'hui. Exemple: si tu as une roche dans un chemin tu peux prendre un levier pour la déplacer.»

Exemple 2

Élaboration d’élèves de la classe «b» :
«Comme une poulie t'as juste à forcer pour attacher l'objet après la poulie et après tu forces mais moins. Le levier nous aide à lever l'objet, exemple: si tu as une roche dans un trou tu mets le levier en-dessous de la roche et il faut que quelqu'un d'autre tire après la roche pour la sortir du trou.»

Élaboration d’un élève de la classe «e» :
«Oui mais comment tu vas la placer ta poulie?»

Élaboration d’élèves de la classe «b» :
«Si tu es dans la forêt tu attaches la poulie après un arbre, tu passes une corde autour de l'objet tu passes la corde dans la poulie et tu tires avec un tracteur et par la suite l'objet devrait se déplacer.»

Élaboration d’élèves de la classe «e» :
«Je dis que tu as raison et que c'est la meilleure façon de faire. On peut aussi utiliser plusieurs objets comme : un VTT, une motoneige, etc.»

Après avoir observé les mesures de densité d’interactions lorsque ces dernières étaient en nombre semblable de part et d’autre dans les classes participantes, nous avons ciblé une activité pour laquelle les interactions se sont réparties de façon asymétrique entre les classes. L’activité 18 a été considérée étant donné que la classe «b» de la très petite école A a interagi à quatre reprises, comparativement à 25 interactions pour la classe «e» de l’école C. Le calcul de la mesure de densité interclasse révèle que, dans 66 % des cas, les élaborations ont été faites à partir d’une interaction provenant d’un élève d’une autre classe. En contrepartie, dans 34 % des cas, les élaborations ont été effectuées à partir d’une interaction d’un camarade de la même classe.

Un constat intéressant à souligner a trait au niveau de profondeur des élaborations, lequel représente en quelque sorte l’approfondissement des idées. Celui-ci a été moindre pour l’activité 18 que pour l’activité analysée précédemment (10) et dont le nombre d’interactions s’est distribué équitablement entre les classes. En fait, pour l’activité 18, les élaborations n’ont pas dépassé le troisième niveau d’approfondissement, à l’exception d’une enfilade (séquence d’élaborations) qui a atteint le quatrième niveau. On a remarqué que les élèves de la classe «b» ont eu tendance à interagir en début d’enfilade alors que ceux de la classe «e» ont souvent élaboré à partir des quelques notes des élèves de la classe «b»., produisant un discours d’accumulation (Allaire et al., 2006), c’est-à-dire un discours dont le contenu est répétitif d’une note à une autre.

Un dernier élément à noter concerne la participation des élèves. Si la majorité des quelques élèves de la classe «b» ont interagi, il en va autrement de ceux de la classe «e». En effet, sur les 25 interactions dénombrées pour cette dernière classe, 40 % provenaient d’un même élève.

Discussion

L’École éloignée en réseau est une initiative qui s’adresse en tout premier lieu aux petites écoles rurales, dont le petit nombre d’élèves peut amputer une caractéristique importante d’un environnement d’apprentissage riche, soit la diversité des interactions sociales qui s’y déroulent. En proposant l’utilisation d’outils de télécollaboration pour relier des classes distantes géographiquement et ainsi élargir les frontières de leur propre communauté d’apprentissage locale (IsCoL, 2001), l’ÉÉR voulait offrir une approche innovante permettant de considérer un tel besoin de diversification.

Les résultats de cette étude, qui s’est concentrée sur les interactions asynchrones vécues par les écoles d’une commission scolaire type sur une période de deux années scolaires, démontrent d’entrée de jeu la viabilité du modèle de mise en réseau pour faire interagir des élèves de classes différentes. En effet, non seulement a-t-on constaté que près de 70 % des activités d’apprentissage réalisées (23 sur 34) ont impliqué des classes différentes, mais une majorité d’interactions (>52 %) se sont déroulées entre des élèves de classes différentes. C’est aussi dire que les jeunes ont élaboré à partir des notes écrites par leurs homologues d’une autre ou d’autres classes en vue de les enrichir. Ainsi, d’un point de vue général, on peut affirmer que l’ÉÉR a permis d’offrir un plus large bassin d’idées et que les protagonistes les ont mises à contribution pour alimenter leur démarche d’apprentissage, et ce peu importe que la distribution des interactions entre les classes se soit faite de façon symétrique ou asymétrique.

Cela dit, nous sommes conscients que la plupart des analyses effectuées dans le cadre de cette étude sont quantitatives et qu’elles tiennent peu compte de la qualité du discours asynchrone écrit. Cette limite, la principale de notre étude, est cependant compensée par d’autres écrits qui eux se sont attardés de façon spécifique aux apprentissages des élèves (Allaire et al., 2006; Laferrière, Allaire, Breuleux, Hamel, Turcotte, Gaudreault-Perron, Beaudoin & Inchauspé, 2008; Turcotte, 2008). Le présent article a permis notamment de confirmer que les interactions asynchrones dans le contexte de ces apprentissages peuvent et se sont de fait déployées, dans une proportion appréciable, entre des élèves provenant de classes différentes. Pour parvenir à ce constat, nous avons dû adapter la mesure de densité de type interindividuel utilisée par Hakkarainen et ses collègues afin d’obtenir une mesure de densité interclasse permettant de tenir compte du fait que, dans notre contexte, des classes différentes travaillaient ensemble en réseau. Le constat que cette mesure de densité a permis d’effectuer porte à croire que les TIC, contrairement à certaines croyances populaires parfois véhiculées, peuvent bel et bien permettre un rapprochement dans la distance (Wagonner, 1992), plutôt que de contribuer de façon systématique à isoler les individus.

Les activités interclasses proposées invitaient les élèves à interagir avec des camarades d’autres classes, mais ils n’étaient ni forcés ni contraints de le faire. Dans une vaste proportion, les élèves ont saisi l’occasion de répondre, d’élaborer à partir des propos provenant d’autres classes. Des données extérieures au contexte spécifique de cette étude nous permettent de suggérer que cela s’est produit en raison de la dimension authentique que procure le contexte d’écriture interclasse et de la diversité d’idées et d’opinions engendrée par l’accès à un plus grand nombre de pairs. Notamment, dans le cadre d’entretiens et de témoignages à leurs enseignants, des élèves ont dit apprécier ces possibilités d’échanges pour le sens qu’elles procurent à leur démarche d’apprentissage.

En outre, il appert que cette nouvelle façon d’apprendre soit viable aussi du point de vue des enseignants, eux qui, pour la deuxième année de la période étudiée, ont planifié près de 10 % de plus d’activités en réseau impliquant au moins une classe par rapport aux activités en réseau n’impliquant que les élèves de leur propre classe. Il semble qu’ils aient pu trouver dans le concept de mise en réseau de leur classe une façon de faire permettant de bonifier l’environnement d’apprentissage local, dans l’optique de certaines caractéristiques suggérées par Perkins (1991). De fait, en collaborant avec d’autres classes et d’autres écoles, cela a-t-il permis d’avoir accès à des sources d’information et à des contenus supplémentaires, voire plus diversifiés. De plus, les interactions asynchrones étant ancrées dans un processus de résolution de problème authentique, d’amélioration collective des idées, voire de coélaboration de connaissances, cela a sollicité auprès des élèves l’énonciation et l’explication de leurs connaissances antérieures et leur positionnement par rapport à celles d’autres camarades. Ils ont aussi pu les enrichir par la négociation de sens.

Si l’on a constaté qu’une véritable collaboration interclasse pouvait bel et bien prendre forme, la présente étude met aussi en lumière que cette collaboration s’orchestre selon une diversité de niveaux de complexité. À cet effet, deux principaux constats méritent d’être soulignés. D’abord, la plus forte utilisation du niveau de collaboration «2 écoles, 2 classes, même cycle d’apprentissage» porte à croire que les enseignants sont à la recherche de partenaires dont le contexte de classe s’apparente au leur. Considérant cela, le réseautage et la mise en contact de potentiels collaborateurs en regard du cycle d’apprentissage semblent devenir des enjeux importants pour assurer la pérennité du travail interécole puisque, en amont des résultats que nous rapportons ici, il a d’abord fallu que des enseignants qui partagent des intentions communes puissent se rencontrer pour donner naissance à des idées d’activités d’apprentissage pour leurs élèves. Jusqu’à présent, l’équipe de recherche-intervention a joué un rôle crucial dans ce réseautage et des modalités supplémentaires (par exemple un site Web permettant la mise en commun et la consultation d’intentions de collaboration) sont envisagées pour permettre aux enseignants désireux de travailler avec d’autres de prendre contact, sur la base de critères qui sont les leurs. Le second constat à souligner concerne l’organisation de la collaboration au fil des deux années étudiées. Si des écrits précédents ont rapporté une fluctuation dans les activités en réseau en fonction des temps de l’année scolaire (par exemple, les congés, les fêtes, etc.), la présente étude, en plus de le confirmer, illustre en outre que la complexité de la collaboration interclasse évolue selon une courbe dont la forme s’apparente à celle d’une cloche. Ainsi, en début de phase, la collaboration en réseau a eu tendance à être plus simple (niveau 2) alors qu’en milieu de phase, elle s’est complexifiée (niveaux 2, 3 et 4), pour finalement revenir à un niveau plus simple (niveaux 1 et 2) au terme de la phase 3 de l’ÉÉR. Ces fluctuations correspondent assez bien aux moments généraux de mise en place des routines de la classe alors que l’enseignant commence, en début d’année, par créer un climat de classe propice avec ses propres élèves – ou le recréer dans le cas d’une classe multiâge – pour s’adonner un peu plus tard à des activités plus élaborées et plus complexes. En fin d’année 2007-2008, on a même constaté un retour à la réalisation d’activités d’apprentissage en réseau qui ont impliqué deux classes d’une même école. Cela constitue à notre sens un exemple intéressant illustrant la consolidation de la dynamique locale de la petite école de village, une des visées de l’initiative de l’ÉÉR depuis ses tout débuts.

Par ailleurs, les résultats plus micro qui découlent de cette étude permettent de poser nombre de questions à propos de la gestion et de l’organisation du déroulement des activités d’apprentissage en réseau, un aspect important d’un environnement d’apprentissage riche (Perkins, 1991). D’une part, la question de la suffisance des interactions peut être soulevée. Si les analyses menées ne permettent pas de déterminer si la moyenne constatée de 20 interactions par activité est suffisante pour obtenir une compréhension suffisamment approfondie du questionnement à l’étude dans le cadre des interactions asynchrones, le temps qui leur est alloué apparaît quant à lui comme un élément important à considérer. Parmi les activités recensées, on a remarqué que celles qui s’échelonnaient sur une plus longue période avaient tendance à engendrer des enfilades plus longues.

D’autre part, le faible nombre d’interactions constaté pour certaines activités peut être compris comme des collaborations inachevées. À cet effet, Bielaczyc (2001) invite à considérer le contexte social plus large que la seule activité en réseau pour en faire l’interprétation. Se pourrait-il que les enseignants aient éprouvé momentanément des problèmes d’ordre technique, ou encore des difficultés de coordination? Peut-être des contraintes locales ont-elles forcé l’un d’entre eux à mettre fin, de façon inopinée, à l’activité prévue. Ou encore qu’une participation trop espacée dans le temps (manque de constance et d’assiduité) d’une classe a fini par décourager les participants de l’autre classe qui étaient en attente de nouvelles interactions. Quoi qu’il en soit, de telles activités inachevées invitent au questionnement des pratiques et attitudes à encourager et à mettre de l’avant pour soutenir des collaborations efficaces entre enseignants.

Tel qu’évoqué précédemment, les résultats obtenus dans le cadre de cette étude indiquent que, pour certaines activités en réseau, les interactions se sont distribuées de façon équitable entre les classes alors que cette répartition s’est faite de façon asymétrique dans d’autres cas. Bien que nos résultats proviennent d’interactions interclasses et non intraclasses, ils s’inscrivent néanmoins dans la foulée de résultats divergents qui ont été documentés dans des écrits antérieurs (Lipponen, et al., 2002; Palonen et Hakkarainen, 2000). À ce stade-ci, bien que nous soyons incapables d’identifier exactement les facteurs qui entrent en jeu dans l’asymétrie interactionnelle, nous pouvons affirmer qu’elle n’est pas reliée au nombre d’élèves par classe. En d’autres termes, le fait qu’une classe qui contient peu d’élèves ait travaillé avec une classe qui en contenait davantage n’a pas systématiquement engendré une disparité dans les interactions asynchrones. La consolidation progressive de la maîtrise de nouvelles routines de travail requises par la mise en réseau de sa classe pourrait-elle être une piste explicative à cette situation?

Cela dit, il est encourageant de constater que, peu importe la façon dont les interactions se sont distribuées entre les classes, les élèves ont cherché à répondre à des élèves d’une autre classe. C’est dire que la présence de nouveaux camarades de classe peut servir d’affordance sociale (Allaire, 2006) incitant à la participation en réseau. Un point d’attention doit cependant être soulevé par rapport aux situations dont les interactions sont asymétriques. Dans le cas que nous avons documenté, le niveau de profondeur des élaborations en a souffert puisque les élèves de la plus grande classe ont presque tous cherché à répondre aux quelques élèves de la classe moins nombreuse, ce qui a occasionné un discours d’accumulation où l’on a constaté nombre de répétitions d’idées semblables. Ce cas nous semble être un exemple particulièrement pertinent pour illustrer la nécessité d’instaurer une régularité dans la participation au sein de l’ensemble des classes impliquées dans une même activité en réseau. Des normes de contribution sont peut-être à envisager.

Enfin, l’analyse plus pointue de l’activité dont les interactions interclasses ont été asymétriques a permis d’identifier qu’une proportion considérable (40 %) des interactions avaient été dominée par une même élève. Ce résultat s’apparente à un constat effectué par Lipponen, et al. (2002). Dans notre cas, la durée de l’activité en réseau a été relativement courte, c’est-à-dire quelques heures échelonnées sur moins d’une semaine de classe. Sachant que, dans les classes du primaire qui participent à ÉÉR, les outils de télécollaboration sont souvent utilisés dans le cadre d’une organisation de classe multitâche et par ateliers, ce qui constitue un indice révélateur du potentiel de la mise en réseau pour la différentiation pédagogique.

Conclusion

La mise en réseau des écoles par le biais d’outils de télécollaboration n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais la présente étude a permis d’illustrer que son potentiel pouvait se concrétiser au quotidien et en venir à faire partie des routines des classes. Cela dit, pour celles qui décident d’envisager ce mode de fonctionnement, la collaboration en réseau implique aussi le développement d’un rapport communicationnel renouvelé. En plus de gérer les interactions qui se déroulent à son niveau local en face à face, la classe doit aussi être à l’écoute et se soucier de celles provenant des classes avec qui elle a décidé de collaborer. Il en va de la qualité et de la pérennité de la collaboration en réseau.

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