Author
Bastien Sasseville, Professeur, Didactique de l'Univers social, Directeur du module en enseignement secondaire, Université du Québec à Rimouski; bastien_sasseville@uqar.qc.ca
Résumé: Au moyen d'entrevues réalisées auprès d'élèves du secondaire, nous tentons de répondre, par l’analyse de leur discours, aux questions suivantes : Comment perçoivent-ils les TIC en classe? Sont-elles, selon eux, pertinentes en tant que moyen d’apprentissage? Perçoivent-ils les TIC comme étant essentielles à leur réussite? D'emblée, le discours des participants se révèle pragmatique. Les TIC représentent pour eux un moyen d'apprentissage stimulant, ayant un effet positif sur leur motivation. Cependant, elles ne sont pas essentielles à l'apprentissage et n'ont pas selon eux d'impact véritable sur leur réussite scolaire. La relation avec l'enseignant demeure au centre du processus d'apprentissage et les TIC n'ont qu'un rôle complémentaire à cette relation. Le discours des participants ignore les formes propres au discours technopédagogique et demeure ancré dans une conception humaniste de l'éducation.
Abstract: How do high school students perceive ICT in learning? Based on interviews with secondary school students, this study contributes to understanding about the role of ICT in school learning in the context of the following questions: How do secondary school students perceive ICT in the classroom? Is this technology relevant to them as a learning tool? Do they see this technology as essential to their success? From the start, the participants’ discourse is pragmatic. For them, ICT represents a stimulating learning tool having a positive effect on their motivation. In spite of this, they do not see this technology as essential to learning nor do they see it as having any real impact on their academic success. The participants’ discourse stayed away from any “techno-pedagogical” forms and remained well rooted in a humanist perspective of education.
La présente réforme de l’éducation au Québec vise, entre autre, à favoriser l’intégration pédagogique des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans nos écoles. Dans le présent article, nous voulons aborder le processus d’intégration pédagogique des TIC en tant que phénomène idéologique plutôt que problème pédagogique, organisationnel ou technique.
Dans cette perspective, nous souhaitons combler un besoin de connaissance en regard des enjeux fondamentaux liés à l’intégration pédagogique des TIC afin de fournir des données qualitatives spécifiques dans le but de mieux connaître certains aspects idéologiques et socioculturels de la technologie en éducation (Larose & Karsenti, 2005; Selwyn, 2003). Au moyen d'entrevues réalisées auprès d'élèves du secondaire de la région de Rimouski, au Québec, nous tentons de répondre, par l’analyse de leur discours, aux questions suivantes : Comment perçoivent-ils les TIC en classe? Sont-elles, selon eux, pertinentes en tant que moyen d’apprentissage? Perçoivent-ils les TIC comme étant essentielles à leur réussite?
L'analyse du discours des élèves permet de mieux cerner le rapport qu'ils entretiennent avec la technologie afin de permettre aux chercheurs, didacticiens et concepteurs d’élaborer des activités et des outils d’apprentissage mieux adaptés à la réalité de la classe.
L’analyse du discours des acteurs en éducation, acteurs qui sont partie prenante dans le mouvement d’intégration de la technologie à l’école, permet d’aborder le phénomène de l’intégration pédagogique des TIC sous un angle différent, de déterminer les motivations des groupes impliqués, d’en cerner les fondements idéologiques.
L'idéologie est ici conçue au sens sociologique du terme et demeure liée à la communication. Ce concept ne se limite pas à un appareil idéologique, caractéristique d'une institution ou d'un groupe organisé, ni à un construit élaboré à partir d'une théorie ou d'une ligne de pensée spécifique (idéologie marxiste, idéologie féministe ou autre). C'est un système d'idées et de jugements, basé sur des valeurs, qui sert à décrire le monde et qui orientent l'action (Charaudeau & Maingueneau, 2002). L'idéologie se manifeste ainsi, dans le texte et la parole, par des thèmes, des structures et des formes qui marquent le discours (Van Dijk, 1988).
Le discours, défini comme une construction discursive élaborée dans un but de conviction, est un élément de légitimation de l’action et demeure influencé par divers courants qui traversent notre société (Angenot, 1982; Garnham, 2000; Lemire, 1999). Ces courants sont captés, interprétés et transformés par les individus et les groupes selon leurs propres intérêts et préoccupations. Un discours n’est jamais neutre.Ainsi, la technologie est actuellement portée, au plan idéologique et symbolique, par les discours technoscientifique, économique et, en partie, par le discours de l’état (Garnham, 2000; Hyslop-Margison, 2000; Lemire, 1999).
Selon Garnham (2000), la théorie de la société de l’information est actuellement le paradigme dominant dans notre société. En liant la libre circulation de l’information à celle des biens et services, cette théorie contribue à légitimer le pouvoir des élites politique et économique en fournissant une assise idéologique à la mise en place de structures légales et de pratiques qui favorisent leurs intérêts.
Au plan socioculturel, cette idéologie se rattache au courant de pensée postmoderne et offre une interprétation de la société et de la culture basée sur le changement et l’individualisme. Dans cette perspective, les TIC, emblème de ce courant de pensée, deviennent l’agent et la finalité de la vie sociale (Conlon, 2000).
Bien que les TIC constituent un important outil de renouvellement pédagogique, leur intégration à l’apprentissage est parfois perçue comme un gaspillage de ressources, consacrées à des outils qui n’ont pas démontré leur efficacité au plan pédagogique. Ces critiques constituent un des pôles du débat sur la place et l’utilisation des TIC en éducation.
Pour Russell (1999), l’utilisation des TIC en classe n’améliore pas de façon significative la réussite et la performance des élèves. Armstrong et Casement (1998) ont souligné les dangers que présente pour l’élève, aux plans social, physique et intellectuel, une trop grande utilisation des TIC dans l’apprentissage. Selon Postman (2000), les TIC "turn attention away from books and book-learning, and they are a force which give to the pen, paper and book, an obsolescent character." (p. 581). Healy (2004) considère que le temps passé en classe devant l’écran réduit d’autant, surtout chez les jeunes élèves, les possibilités de développement d’habiletés reliées au langage et à la socialisation. De plus, au plan pratique, il est nécessaire de développer une stratégie d'intégration pédagogique appropriée aux besoins des élèves et adaptée aux contraintes de la pratique enseignante. (Lamy, 2005; Sasseville 2002)
Ce type de discours offre un contraste important avec ceux des organisations supranationales (UNESCO, 2001; OCDE, 2003), des gouvernements (Gouvernement du Québec, 2000; Grenon, 2002) et des fabricants et publicitaires de matériel et services informatiques (Alexander & Petkanas, 1998; Dawes & Selwyn, 1999) qui font la promotion de l’intégration des TIC en éducation. Ces discours s’inscrivent dans le paradigme de la société de l’information et se construisent à partir de ses références idéologiques fondamentales. Le contexte économique actuel de libéralisation des marchés et la question de la formation de la main-d’œuvre sont les pierres angulaires de ce discours qui lie nouvelles technologies avec les notions de progrès social, de performance économique et de mieux-être collectif (OCDE, 2003).
Les discours s’exposent donc en confrontation, s’inspirant de référents idéologiques, de modèles éducationnels et de stratégies discursives qui leurs sont propres. À l’heure actuelle, il est difficile pour les acteurs en éducation de se prononcer sur la pertinence et l’impact des TIC dans l’apprentissage sans tomber dans les pièges de cette dialectique. Selon Selwyn (2003), il faut arriver à une compréhension plus approfondie des fondements idéologiques des discours afin de développer une cadre conceptuel alternatif expliquant la façon dont les individus conçoivent la technologie. À cet égard, il est nécessaire selon lui d’adopter une position où les TIC ne sont pas considérées d’emblée comme essentielles à l’apprentissage et où le refus de leur utilisation n’est pas considéré comme une faute (Selwyn, 2003).
Nous faisons l'hypothèse que le rapport à la technologie varie selon la vision du monde, les présupposés philosophiques ou idéologiques propres à un individu ou à un groupe et oriente l'utilisation de la technologie, ce que l'analyse du discours révèle de façon explicite.
Les TIC font maintenant partie intégrante de la vie des jeunes (Steeves, 2005). Cependant, les positions révélées par leur discours, à l’instar des grands courants d’idées dans la société, peuvent être relativement marquées. Pour l’élève, la maîtrise de la technologie peut être perçue comme un moyen de s’intégrer à une société qui lui est présentée, par les média et la culture populaire, comme étant fortement marquée par le développement techno-scientifique et la nouvelle économie.
Le discours présent dans le milieu proche de l’élève peut renforcer ce sentiment de valorisation. Ainsi, un discours favorable à la technologie à l’école–propre aux acteurs présents dans ce milieu - peut être considéré comme un facteur extrinsèque de motivation chez l’élève en stimulant chez lui un intérêt pour toute activité utilisant les TIC en classe (Hidi & Harackiewicz, 2000). À la maison, une utilisation soutenue des TIC peut permettre une plus grande familiarisation avec ces outils et accroître la motivation des élèves lors d’activités en classe. Cependant, Mumtaz (2001) montre que, malgré une utilisation soutenue des TIC à la maison, il ne semble pas qu’il y ait un transfert de cet intérêt dans le contexte d’activités scolaires, ce qui laisse suggérer que d’autres facteurs puissent intervenir dans la motivation des élèves à s’engager dans ces activités.
L’importance du milieu socioéconomique de l’élève a également un impact sur le développement d’une attitude favorable aux TIC chez l’élève (Bucy, 2000). Selon Larose, Lenoir et Karsenti (2002), une moins grande proportion d’élèves issus de milieux socioéconomiques faibles ont accès aux TIC, ce qui ne leur permet pas de développer des compétences relatives à leur utilisation, transférables dans un cadre scolaire.
Cependant, l’exposition précoce et fréquente, bien que constituant un facteur important, doit être examiné en relation avec le contexte du milieu familial. D'autres facteurs relatifs au cadre d’utilisation (travaux scolaires versus utilisation ludique à la maison), à la performance des outils (désuétude des appareils à l’école, lenteur de téléchargement, etc.) et au milieu socioéconomique ont un impact certain sur l’appréciation des élèves. Le discours des proches, valorisant les TIC comme facteur de réussite sociale, ainsi que le discours publicitaire, axé sur les aspects ludiques des TIC, peuvent avoir un impact sur la façon dont les jeunes perçoivent ces outils dans un contexte de classe.
L’analyse du discours des élèves à propos de l’intégration des TIC dans l’apprentissage permet de déterminer le référentiel idéologique à partir duquel il se construit et de répondre à plusieurs questions fondamentales : Comment les élèves perçoivent-ils l’utilisation des TIC en classe? Sont-elles, selon eux, pertinentes en tant que moyen d’apprentissage? Les TIC sont-elles essentielles à l’insertion professionnelle et sociale?
Les réponses à ces questions permettent de mieux comprendre le rapport que les élèves entretiennent avec la technologie, de déterminer l’impact de différents discours sur la construction chez les élèves du secondaire d’une image positive de la technologie dans l’apprentissage et enfin de permettre aux chercheurs, didacticiens et concepteurs d’élaborer des activités et des outils d’apprentissage qui permettent de minimiser les perceptions négatives liées à l’utilisation des TIC en classe.
L’analyse de l’énonciation, qui se distancie de l’approche structuraliste de l’analyse du discours, est à la fois analyse de contenu–le langage, l’argumentation–et exploration de l’acte de communication. Elle peut se concevoir comme une quête globale de sens où la position du locuteur, ses référents idéologiques, ses stratégies discursives révèlent ses motivations, ses croyances et valeurs. Par le fait même, l’analyse de l’énonciation touche à la sociologie, à la psychologie, à la psychanalyse et à la symbolique du langage.
Le discours ne peut être ici perçu comme univoque, porteur d’une vérité dont seul le locuteur est la source (Adam, 1990; Bakhtine, 1981; Guittet, 2002). Celui-ci se trouve au centre de multiples courants discursifs qui, tant au point de vue du contenu que de la forme, participent à la construction de sa propre parole.
L’acte de communication est un mécanisme dialectique qui s’exprime à l’intérieur d’un cadre historiquement et socialement déterminé (Adam, 1990; Angenot, 1982; Bakhtine, 1981; Guittet, 2002). C’est pourquoi la connaissance des référents idéologiques propres à l’époque où s’inscrit le discours est essentielle. De plus, la connaissance du locuteur, de son statut social, est également essentielle à l’analyse. Qui est le locuteur? Comment se présente-t-il? Quels rapports entretient-il avec les autres? En examinant comment s’exprime ce rapport à soi et à l’autre, l’intention du discours devient lisible.
Pour ce qui est du langage, les mots du discours ne peuvent être perçus comme appartenant en propre au locuteur. Le vocabulaire, les tournures de phrases, les idées sont déjà présents dans l'univers du locuteur. Nous arrivons ainsi à déterminer l’ancrage du locuteur dans un contexte discursif plus large et sa position dans un univers culturel donné.
Le contexte de communication est également un facteur essentiel à la démarche d’analyse. Les relations interpersonnelles, les enjeux de l’acte de communication, la capacité de verbalisation des participants de l’échange révèlent les mécanismes de construction du discours tout autant que le langage lui-même (Guittet, 2002). Les répétions, lapsus, incohérences révèlent le monde intérieur du locuteur. Ces accidents de la parole exposent les tensions et conflits internes du locuteur (Charaudeau & Maingueneau, 2002; Fossion & Laurent, 1981).
À cet égard, le discours justifie, et parfois même impose au locuteur, des choix face aux autres, face à des situations ou à des objets présents dans son univers immédiat. Il balise la pensée et les attitudes et oriente les actions. L’acte discursif devient un effort du locuteur pour prendre position à l’intérieur d’un contexte culturel et social où il affirme son identité, son unicité. L’analyse permet alors d’explorer le rapport de l’individu au groupe, à la culture et face à lui-même.
La collecte de données auprès des élèves s'est effectuée de mai 2004 à juin 2005 au Québec dans la région Bas Saint-Laurent. Les participants, élèves au second cycle du secondaire, proviennent de deux établissements d’enseignement à vocation régionale : un établissement de la région de la Mitis et un établissement de Rimouski, tous deux offrant tous les cycles de formation au secondaire.
Les participants proviennent de groupes-classes où l’utilisation des TIC à des fins pédagogiques se fait déjà sur une base hebdomadaire. À la suite des entrevues préliminaires, nous n'avons retenu que les participants de quatrième et cinquième secondaire de façon à pouvoir obtenir un discours plus exhaustif et mieux articulé. La majorité des participants provient du secteur régulier. Cependant certains d'entre eux présentent des profils de formation particuliers de façon à obtenir un discours diversifié, qui tient compte des contraintes propres à chacun de ces profils. Nous avons établi une répartition égale des participants selon le sexe et selon l'année-cycle (voir annexe II).
Le recrutement s'est fait en cascade, jusqu'à saturation du contenu. L'accord des responsables d'établissement a été obtenu, ainsi que celui des parents, préalablement à chaque entrevue. L'entrevue portait sur cinq grands thèmes : Les TIC en tant qu'objet symbolique; les TIC et la réussite académique; les TIC et la motivation; les TIC et l'apprentissage; les TIC et l'insertion professionnelle et sociale.
L'analyse de première lecture consiste en une prise de contact avec le corpus. Elle vise à explorer le contenu des entrevues de façon à dégager des pistes générales pour permettre une interprétation plus juste de l'analyse subséquente de l'énonciation.
Le contenu de l'ensemble du corpus a subi une mise en forme de façon à permettre une exploration plus exhaustive du discours des participants. Il a été d'abord regroupé par thèmes, les cinq grands thèmes de l'entrevue sur lesquels reposent la recherche, et ensuite par sous-thèmes qui correspondent à chaque question du canevas d'entrevue. Toutes les interventions pertinentes des participants ont été ainsi rassemblées de façon à obtenir une structure cohérente, plus facilement manipulable pour l'analyse.
Chaque intervention relative à un thème ou à un sous-thème fut ainsi mise en confrontation avec l'ensemble de l'entrevue de façon à mieux saisir la trame du discours de chaque participant. Cet exercice permet de faire ressortir la cohérence interne propre à chaque entrevue. Chaque intervention fut ensuite comparée avec l'ensemble des interventions sur le même thème ou sous-thème des autres participants de façon à replacer la parole individuelle dans le contexte du corpus. En exposant la position de chacun des participants et en établissant des liens logiques avec les interventions des autres participants sur la même question, le corpus est ainsi mis en confrontation avec lui-même.
De plus, les résultats de l'analyse de première lecture sont mis en liens avec les résultats de l'analyse de l'énonciation de façon à faire émerger le sens profond du discours présent dans le corpus. L'analyse de l'énonciation consiste en une réinterprétation des résultats de l'analyse de première lecture à la lumière d'une grille d'indices de l'énonciation (annexe I). Cette grille, élaborée lors de la précédente recherche (Sasseville, 2002), s'inspire de celle mise au point par Fossion et Laurent (1981). L'analyse consiste en un repérage systématique des indices de la grille à l'intérieur du discours de chaque participant. Chaque indice nous renseigne sur les stratégies discursives utilisées par le locuteur et indique sur quels aspects du discours il accorde de l'importance et sur la manière dont il traduit ainsi sa conviction (Van Dijk, 1985).
Enfin, les résultats de l'analyse de chaque participant sont mis en confrontation avec l'ensemble du corpus et avec les résultats obtenus lors de l'analyse de première lecture. Les lignes de forces peuvent ainsi apparaître plus clairement et permettent de donner un sens nouveau au discours analysé.
Nous attribuons aux objets qui nous entourent une valeur, une signification particulière. Ils acquièrent ainsi une fonction symbolique spécifique. Il deviennent porteurs d'un message, reflètent une façon de voir le monde.
Si pour quelques participants, la technologie représente surtout la machine, trahissant une vision limitée à l'objet lui-même, cette vision n'est pas caractéristique de l'ensemble du corpus.
Pour la plupart, les TIC sont surtout des outils très utiles pour mener à bien, et plus efficacement, différentes tâches (voir annexe III). Les aspects de facilité et de rapidité, associés à différents contextes d'utilisation, sont à cet égard les plus importants.
D'entrée de jeu, l'apport des outils TIC au plan pratique est indéniable. Cet apport est reconnu et accepté d'emblée. Les TIC sont donc porteuses de plusieurs potentialités mais demeurent limitées à une utilisation concrète, liée à ce que l'on attend habituellement de ces outils. Certains participants parlent de "renouveau", "d'avancement" ou encore "d'amélioration" mais la vision exprimée dans le corpus évacue l'aspect symbolique du thème discuté.
Nous pouvons donner plusieurs interprétations à cet état de chose. D'abord, étant donné leur âge, les participants peuvent éprouver une certaine difficulté à extrapoler les impacts probables des TIC. Les TIC se rattachent difficilement à une interprétation spécifique de la société. Cette interprétation doit cependant demeurer prudente. Plus loin, nous verrons que les participants n'ont aucune difficulté à imaginer un avenir où les TIC changent radicalement les façons de faire, le travail et les relations humaines. Ensuite, leur vision demeure conditionnée par leur vécu scolaire, caractérisé par des utilisations ciblées. En dehors de ces dernières, les participants accordent relativement peu d'importance aux TIC en tant que symbole de progrès et de changement social. En un mot, même si les TIC occupent une place importante dans leur vie, leur monde n'est pas uniquement caractérisé par la technologie.
L'image qui se dégage de ce thème est empreinte de pragmatisme, où la technologie demeure subordonnée aux besoins spécifiques des individus, selon les tâches particulières qu'ils ont à réaliser au quotidien. Cette subordination trahit un univers où prime le travail, aspect qui se confirme plus loin quand on demande aux participants de quelle manière ils voient l'évolution des TIC à l'école et dans la société. Les TIC sont alors le symbole d'une certaine forme d'utilitarisme, très réducteur, où la fonction définit l'individu et ses rapports avec les autres.
Les participants reconnaissent aux TIC une place importante dans la société mais cette place demeure largement limitée à des aspects pratiques. Ainsi, les participants mentionnent la facilité et la rapidité accrue dans la production de textes, dans le stockage de l'information et dans la communication, généralement dans un contexte de travail ou d'étude.
Le divertissement est également mentionné par les participants mais ne représente pas l'aspect le plus exploité dans le discours. La communication par Internet est, à cet égard, plus importante.
Quelques participants se questionnent sur les impacts de la technologie. Certains reconnaissent que la technologie permet d'être plus productif mais, du même souffle, dénoncent l'envahissement de la technologie dans nos activités quotidiennes et ses effets à long terme sur l'humain. Pour un sujet en particulier, l'individu pourrait devenir "paresseux", faisant implicitement un lien entre la facilité que nous procure la technologie et une forme de dépendance à cette facilité. Pour un autre sujet, le fait que la technologie puisse permettre de réaliser de plus en plus de choses, de plus en plus rapidement, fait que la machine peut en arriver à déterminer le rythme de travail. Il faut "…suivre la machine…" (ent-15). Pour un autre sujet, ces effets de la technologie sur l'homme peuvent faire en sorte que "…les humains vont être changés.." et qu'ils vont être "… moins utiles…" (ent-10). Bien que ces changements soient plus ou moins bien définis dans le discours, il est clair que la dépendance à la technologie fait en sorte que l'individu est moins actif.
Les effets positifs de la technologie sont également mentionnés. La facilité de communiquer et d'obtenir de l'information est un aspect positif. Le courrier électronique permet de sauver du temps par "…rapport à la poste traditionnelle." (pré-01). Le réseau Internet permet d'obtenir rapidement une grande quantité d'information et offre une plus grande ouverture sur le monde. La technologie offre également des possibilités nouvelles, par exemple en santé où "… les chirurgiens utilisent les ordinateurs pour opérer…" (ent-14).
Les participants font ainsi montre d'une compréhension des enjeux soulevés par les TIC dans la société.
De l'avis général, les TIC jouent un rôle important à l'école. Les utilisations sont relativement variées et touchent plusieurs disciplines scolaires. L'usage des TIC est lié principalement à la réalisation de travaux et de devoirs, en classe et à la maison. Les TIC n'apparaissent pas ainsi comme étant au cœur de la pédagogie mais ont plutôt un rôle périphérique. Il semble d'ailleurs que leur utilisation relève surtout de l'élève et que l'enseignant utilise peu ces outils comme moyen d'apprentissage dans ses activités d'enseignement.
La facilité offerte par le traitement de texte dans la production écrite vient en tête de liste des utilisations mentionnées. Pour plusieurs participants, le traitement de texte permet d'accélérer le travail. Il permet de réaliser des travaux plus lisibles. Enfin, il permet de réaliser diverses tâches de mise en page.
La recherche d'information sur Internet est également souvent mentionnée et suit de près le traitement de texte dans la liste des utilisations les plus fréquentes :
Sur Internet, on peut peut-être chercher davantage, approfondir un sujet. (ent-13)
Pour plusieurs, Internet a remplacé la bibliothèque conventionnelle car cet outil offre un plus grand accès à l'information en plus de donner accès à des informations récentes et complètes.
D'autres utilisations sont mentionnées en lien avec différents outils TIC. Elles sont diverses et décrites comme avantageuses mais aucune ne rivalise en importance avec le traitement de texte et Internet. Ils mentionnent l'utilisation de logiciels divers :
On a beaucoup d'outils comme par exemple des outils Microsoft qui peuvent être très utiles, les logiciels comme Excel, Word… (ent-16)
L'utilisation des TIC en classe par l'enseignant a été peu mentionnée comme moyen de stimuler l'intérêt pour la matière. Quelques participants abordent explicitement cet aspect en expliquant de quelle manière l'enseignant réalise des présentations en classe avec un canon projecteur branché sur un portable :
C'est plus intéressant à voir que le tableau vert et la craie blanche. (ent-09)
Enfin, l'utilisation des TIC est parfois perçue comme une matière à apprendre, un ajout au curriculum. Mais ce type d'apprentissage n'est pas considéré comme relevant uniquement du domaine scolaire et peut se faire individuellement à la maison
La technologie est perçue par les participants comme une aide précieuse dans la réalisation de leurs travaux scolaires mais seulement à l'intérieur de contextes d'utilisation précis. Les TIC permettent de réaliser plus facilement certaines tâches et ainsi de progresser plus rapidement, sous certaines conditions, par exemple dans le cadre d'un apprentissage autonome au moyen de modules d'apprentissage.
Dans les matières où on en a besoin, c'est sûr que ça nous aide, mais où on n’en n’a pas besoin, c'est par nous même qu’on apprend puis qu’on fait nos travaux… (ent-01)
En ce qui a trait aux outils spécifiques, l'Internet est perçu comme étant essentiel à la réussite et ce, au détriment d'autres fonctions ou potentialités offertes par les TIC :
Oui, parce que si tu as besoin de quelque chose, tu peux aller le chercher. Si tu prends vraiment le temps de tout faire ce que tu veux avec Internet, là t'es correct. (ent-11)
Donc, pour plusieurs participants, la technologie permet surtout à l'élève qui est déjà à l'aise dans une matière précise de travailler plus rapidement et d'être plus autonome dans l'acquisition des contenus.
L'intégration des TIC en classe par l'enseignant lors de présentations peut également faciliter la compréhension :
Dans mon cours de mathématique, mon prof avait fait une affaire sur PowerPoint. Il avait donné des notes de cours puis j’ai mieux compris comment que ça marchait, que s'il l’avait fait au tableau. Puis tu sais, j’étais plus attentif. (ent-02)
Le fait de travailler avec les TIC en classe et à la maison peut être motivant, mais l'effet sur la motivation demeure limité.
Indirectement, je crois que c’est l’élève qui fournit un certain effort plus que la machine. (pré-01)
Dans l'ensemble, pour la plupart des participants, les TIC demeurent un outil et l'élève doit toujours s'investir dans son apprentissage.
Bien que les TIC soient perçues comme un outil essentiel à la réalisation de travaux scolaires et qu'elles puissent parfois favoriser la compréhension du contenu disciplinaire, elles ne sont généralement pas perçues comme un facteur essentiel à la réussite académique. Encore ici, c'est l'aspect pratique de la technologie qui ressort des commentaires des participants et la contribution des TIC à la réussite demeure limitée ou mitigée.
M’aider à mieux réussir? Ça dépend dans quel sens qu’on veut. Je ne pense pas que j’ai des bonnes notes à cause de l’ordi qu'il y a à la bibliothèque. Je pense pas ça du tout. […] Mais si tu me demandes, en général, si je crois que l’ordinateur me mérite mon 80% de moyenne, non, je penserais pas. […] Comme je dis, c'est vraiment un outil de travail. C’est pas lui qui travaille. (ent-13)
C'est pas ce qui va faire que je vais réussir. Ça, c'est plus mon professeur quand il m’explique, ça va me faire comprendre plus, mais ça peut être un plus qu’on peut avoir là. Mais c'est pas essentiel nécessairement, selon moi. (ent-14)
Ces opinions sont à mettre en lien avec la question précédente où la réussite scolaire dépendait de la facilité qu'apportent les TIC dans la réalisation de diverses tâches à l'école.
Il apparaît donc que les participants n'établissent pas de façon systématique de lien direct entre les TIC et la réussite à l'école. Ils voient les TIC comme un support à leur travail. L'élève doit toujours faire l'effort de comprendre la matière, de suivre les directives, de réaliser les travaux. L'élève demeure actif dans son apprentissage.
Pour la plupart des participants, la réussite est perçue comme appartenant toujours à l'élève. Elle dépend de sa capacité à répondre aux diverses demandes auxquelles il fait face et des stratégies qu'il développe par lui-même en vue d'atteindre ses objectifs de réussite.
Sans nier l'aide que peut leur apporter les TIC à cet égard, l'opinion des participants est plutôt divisée quant à savoir si les TIC peuvent les aider à mieux apprendre. Cet état de fait semble lié à la définition qu'ils semblent avoir de l'apprentissage. Certains participants voient les TIC comme un support à la compréhension, facilitant d'autant l'apprentissage. L'Internet est décrit comme une source irremplaçable de renseignements et d'explications supplémentaires. Cependant, cet outil demeure complémentaire à l'action de l'enseignant en classe. L'apprentissage demeure ici lié à la compréhension, l'élève qui comprend le contenu disciplinaire est un élève qui apprend. L'apprentissage reste donc centré sur le contenu.
Selon d'autres participants, l'apprentissage est un processus interne à l'élève. En ce sens, les TIC ne permettent pas de mieux apprendre car elles ont peu d'effets sur un processus qui demeure dans leur esprit lié à la capacité intellectuelle de l'apprenant plutôt qu'à des contingences extérieures. À cet égard, la relation maître-élève demeure plus significative.
Tu as beau avoir la technologie, les ordinateurs et puis tout ça là, mais c'est ta tête qui va avoir les réponses, qui va comprendre tout ça. C'est pas l’ordinateur qui va le faire à ta place. (ent-10)
Non, je crois que non. Je ne pense pas que ça m’aide à mieux apprendre, à mieux construire des projets, à mieux apprendre comment travailler. Ça m’apprend peut-être des techniques de travail, oui. Mais apprendre mon sujet, mon sujet en tant que tel, ma matière, je ne croirais pas, non. C'est mon professeur, ou n’importe qui, quelqu’un qui a la capacité de m’apprendre. (ent-13)
L'utilisation des TIC dans l'apprentissage stimule l'intérêt pour la matière en apportant un support visuel. Elle permet également une plus grande implication de l'élève dans l'apprentissage en le mettant en action plutôt que de le confiner dans un rôle passif. La relation maître-élève demeure cependant au cœur du processus d'apprentissage.
La plupart des participants s'entendent pour dire que l'utilisation des TIC dans l'apprentissage est une source importante de motivation.
Elles leur permettent de se construire un environnement de travail plus agréable. Elles leur donnent l'impression d'avoir plus de contrôle sur le déroulement des activités et par le fait même sur leur apprentissage.
Oui, parce que, encore une fois, je dis que ça va à mon rythme, donc ça me motive parce que je sens que c'est moi qui fait le travail, ça vient de moi. (ent-15)
Il faut souligner que le plaisir est très présent dans le discours des participants. Ils font un lien très fort entre le plaisir qu'ils éprouvent à utiliser les TIC et la motivation dans l'étude ou dans la réalisation des travaux scolaires ou des activités d'apprentissage. Pour eux, il ne semble pas y avoir d'incompatibilité entre ce plaisir et le travail académique. Ils ne semblent donc pas avoir cette vision de l'apprentissage où le travail scolaire est synonyme de sérieux, d'austérité et de cadre rigoureux que l'on pourrait traditionnellement associer avec un climat d'apprentissage traditionnel. Plaisir et apprentissage vont de pair et les TIC permettent de concilier assez facilement ces dimensions.
Dans l'ensemble, les participants conviennent que les TIC sont aujourd'hui essentielles à la vie en société. Ils citent de nombreux exemples tirés de la vie quotidienne.
Maintenant, quand tu veux avoir du chômage, ça se fait par Internet. Faut que tu remplisses des feuilles sur Internet et puis tout ça. Si tu sais pas comment remplir ça, tu peux pas avoir ta demande. (ent-11)
Ils reconnaissent que la technologie occupe une plus grande place dans leur vie, pour eux qui ont appris très jeune à vivre avec la technologie, que pour les générations précédentes qui vécu ont la majeure partie de leur existence sans les TIC. Ils reconnaissent ainsi qu'il existe un écart technologique entre les générations.
Je vois mes parents, mes parents ne sont pas vieux là, ils se sentent quasiment plus vieux quand qu'ils voient la technologie qui les dépasse complètement. (ent-03)
Certains perçoivent aussi une certaine pression dans la société associée à la maîtrise des TIC. Ils évoquent une certaine désapprobation envers ceux qui n'ont pas encore maîtrisé leur usage et qui ne les ont pas intégrées à leurs activités quotidiennes.
En utilisant des techniques dépassées, ils passent pour du monde qui n’aiment pas la technologie. Tout le monde utilise ça et puis eux autres ils ne l’utilisent pas, ils vont les regarder croche! (pré-03)
Ils conviennent que l'impact des TIC peut varier selon le type d'emploi occupé, selon le degré d'évolution technologique de la société et selon l'utilité que les TIC peuvent avoir pour l'individu. Leurs réponses demeurent donc nuancées.
Tu déblayes les rues l’hiver, tu sais, tu n'as pas besoin d’un ordinateur. Sauf que si tu veux devenir, je sais pas moi, comptable, t’as besoin d’un ordinateur. Puis il faut que tu saches comment ça marche! (ent-02)
Enfin, pour certains participants, bien que les TIC soient très utiles à l'école, au travail ou dans les loisirs, elles demeurent accessoires. En ce sens, ils ne semblent pas lier la maîtrise des TIC avec une conception du mieux-être, associée souvent dans le discours médiatique et publicitaire avec l'usage des TIC. Selon eux, la société n'a pas changé au point où la technologie est incontournable, contredisant ainsi le discours des promoteurs de la technologie.
Vraiment essentiel? Je ne pense pas que c'est si important que ça, parce que si on regarde dans le monde actuel, il y a certains peuples qui ne le font pas [utiliser les TIC]. Il y en a qui n'ont aucun accès à Internet, aucun accès aux technologies et ils vivent très bien. (ent-15)
Donc, les TIC bien que très utiles ne semblent pas encore actuellement incontournables, surtout si elles n'occupent qu'une fonction de support aux activités quotidiennes. Les participants insistent sur l'importance de certaines valeurs, comme le sentiment d'accomplissement, l'amour du travail bien fait ou le besoin de contacts humains, plus essentielles à la vie en société selon eux que la technologie.
La maîtrise des TIC est maintenant requise, selon la plupart des participants, pour obtenir un emploi.
Oui. Je pense que oui. De toute façon, c'est quasiment rendu que dans tous les domaines maintenant, t’as besoin d’un ordinateur. (ent-03)
Cependant, tout dépend du secteur d'activité choisi par l'individu. Certains types d'emplois sont peu affectés par l'arrivée des TIC car ils ne requièrent pas véritablement de technologie.
Quelqu’un comme moi qui s’en va sur la construction… Je ne sais pas à quoi ça peut me servir… C'est ça, moi je vois pas l’intérêt avec l’ordinateur et puis les briques. (ent-09)
Si tu t’en vas informaticien, oui. Mais peut-être que si t'es serveuse, non… Les vidangeurs, ils n'ont pas besoin d’avoir ça! (ent-11)
Selon bien des participants, à compétence égale, les employeurs vont préférer un candidat qui maîtrise la technologie à celui qui en ignore l'usage. Ce sont d'ailleurs les emplois qui demandent d'effectuer des tâches cléricales qui nécessiteront une maîtrise suffisante des TIC.
Cette question a soulevé beaucoup de réactions de la part des participants. Elle se prêtait bien à un exercice de prospective. Les participants ont exprimé une vision relativement réservée face à l'évolution future des TIC, autant à l'école que dans la société en général. Ils imaginent que la technologie occupera à l'avenir une place grandissante dans nos vies
[…] d'après moi, ça va encore prendre plus de place… (pré-02)
Ah! Mon dieu! Ça va peut-être presque juste être ça. (ent-11)
Il va y en avoir de plus en plus… (ent-12)
Ils éprouvent cependant un certain malaise face aux impacts possibles de cette situation sur l'activité humaine. Ainsi, ils demeurent conscients que cette présence grandissante occasionnera des pertes d'emplois :
Il peut y avoir des pertes d'emplois si la machine devient trop performante… (pré-01)
Si ça continue comme ça, mettre plus de machines informatisées, ça peut couper des jobs , il va y avoir du personnel remplacé par des machines. (pré-05)
Ben, j'ai peur que plus tard d'avoir quasiment plus rien à faire, que la technologie prenne notre place, aussi bien au travail qu'à la maison, n'importe où. (ent-09)
Ça va ôter des emplois et les emplois que ça va rajouter, ils vont être plus spécialisés. (ent-12)
Ça enlève beaucoup d'emplois, si on pense à ce qui va venir plus tard. (ent-13)
La vision des TIC n'est donc pas uniquement optimiste. La technologie permet certaines avancées mais elle occasionnera aussi certains problèmes comme la perte de contacts humains.
[…] si tout se fait par Internet, tout le monde peut rester chez soi… il y aura moins de contacts humains entre les gens… (pré-01)
La présence croissante des TIC va de pair avec une augmentation de la puissance des ordinateurs. Cette dernière mènera à une augmentation de la vitesse de traitement de l'information et des échanges informatisés.
À l'école, l'image qui se dégage du discours est encore marquée par la prospective. Les descriptions semblent parfois puisées à un imaginaire proche de la science-fiction. Cependant, ces descriptions demeurent plausibles dans l'esprit des participants. Ils parlent d'une aisance accrue dans la présentation de la matière en classe.
[…] c'est ça, au lieu que t'écrives les examens, ça va être sur l'ordinateur… (pré-04)
[…] sûrement il va y avoir des ordinateurs dans toutes les classes. (ent-04)
Ben, moi, je dis que dans le futur, ça va venir que tout le monde va en avoir un [ordinateur dans la classe]. (ent-14)
Les TIC deviendront le médium principal de formation et certains parlent même de la disparition de l'enseignant ou de l'école :
[…] peut-être qu'il y en aura plus de profs! (pré-04)
L'école va peut-être être sur les ordinateurs, puis tout le monde va être chez eux… (ent-07)
Certains participants évoquent la disparition de l'écriture manuelle et du papier, faisant écho à certaines prédictions populaires chez les futurologues :
Moi, je pense qu'il y aura plus vraiment de papier, que ça va tout être informatisé! (ent-05)
On n'aura peut-être plus de manuels… (ent-07)
Peut-être qu'on écrira même plus! Ça va tout être tapé! (ent-11)
Bien que quelques participants voient ces transformations à l'école comme étant positives, d'autres cependant expriment quelques craintes face aux changements pressentis autant à l'école que dans la société en général :
Moi je trouve que plus ça va, plus que ça me fait peur. […] Je trouve que la technologie prend beaucoup trop de place. (ent-09)
Je suis pas pour ça nécessairement, je pense que l'humain a quelque chose qu'une boîte n'a pas non plus. (ent-13)
Le stress occasionné par un rythme de vie et de travail plus rapide, accentué par la technologie, est un facteur d'inquiétude. Certains participants voient dans les TIC un élément déterminant ayant des conséquences sur la qualité de vie.
Les participants s'interrogent également sur une forme de dépendance possible à la technologie. Cette dépendance est perçue comme nuisible à long terme. L'être humain pourra en venir à trop se fier à la technologie, à oublier certaines façons de faire, certaines pratiques et sera diminué par sa dépendance à la technologie.
Il y a un monsieur qui m’a dit que c'est l’Homme qui construit l’ordinateur et que l’ordinateur sera jamais plus fort que l’humain. Mais si l’humain fait l’ordinateur à même égalité que lui, ça peut devenir dangereux. (ent-09)
Parce qu'on est dans un monde où que tout le monde veut tout plus vite, plus facile. Alors, si ça continue comme ça, c'est sûr que l’utilisation de la technologie va être plus répandue. […] Ça fait peur dans le sens qu'il y a des personnes qui ne seront pas capables de s’en passer. (ent-16)
Cette évolution est inévitable, ne serait-ce que pour des raisons économiques, entre autres de productivité et de gain de temps.
Les participants font preuve d'une imagination débordante dans leur description des futurs impacts de la technologie. C'est un discours de l'imaginaire, alimenté par des faits, des situations, des images tirés de la science-fiction et des média. En prenant des exemples tirés des média scientifiques et en extrapolant les applications et les impacts de technologies encore embryonnaires, les participants font preuve d'une véritable tendance à la prospective.
De plus en plus, ils vont utiliser beaucoup de technologies, moi je prends l’exemple des voitures… Il n'y aura pas de volant puis tu vas dire : on est à [X], je veux aller [Y]. Elle [la voiture] va lire la carte puis elle va prendre le chemin le plus court puis elle va se rendre à [Y]. Même les nouvelles technologies qui sortent aussi, la voiture avec un programme… un programme technologique, ce qui fait que, si elle sent que tu es déprimé, elle va mettre de la musique, la musique pour que tu deviennes joyeux. La couleur de la voiture, il y a des petites lumières qui vont changer de couleur si t'es triste, ça va être bleu, si t'es content, ça va être jaune, orange. C'est assez flyé , mais c'est ce qui s’en vient dans une dizaine d’année. (ent-10)
Plusieurs des exemples présentés sont en lien avec leur propre milieu de vie, marqué par un cadre de vie rural (exploitation agricole ou forestière entre autre), laissant voir qu'il n'y a pas de contradiction entre ce mode de vie et le développement technologique.
Tu vas aller sur une ferme, avant, c’était tout manuel, c’était tout fait à la main, mais là, ça va tout être… Ça commence déjà à être informatisé… Des trayeuses avec des ordinateurs dedans… Il y a des robots qui donnent à manger [aux animaux]. (ent-08)
La technologie n'est pas ainsi l'apanage d'un mode de vie urbain mais peut avoir des impacts importants sur le mode de vie rural.
L'analyse de l'énonciation permet de réinterpréter le corpus à partir des indices de la grille d'analyse. Cette étape nous renseigne sur les stratégies discursives employées par le locuteur pour construire et appuyer son discours. Les éléments de la grille étant nombreux, nous présenterons ici les faits saillants de cette analyse.
Le système pronominal révèle que le discours est ici un discours de l'individualité. Les participants parlent en leur nom propre et non pas au nom d'un groupe ou d'une collectivité déterminée. Les participants ne se font pas le porte-parole d'un discours qui se voudrait collectif. Ils ne se posent pas en représentants d'une communauté à laquelle ils s'identifient. L'identité est unique, le discours représentatif seulement de son locuteur comme d'autres indices le confirment plus loin.
De plus, les participants ne font que très peu appel à des registres de discours autres que le leur. Ils font très peu d'emprunts à d'autres genres de discours présents dans leur univers intellectuel immédiat.
On ne retrouve donc pas trace, à proprement parler, d'un discours technopédagogique favorable à la technologie, tel qu'exprimé dans le discours des promoteurs de l'intégration pédagogique des TIC. (Sasseville, 2002).
On remarque, par contre, un registre de discours basé sur l'efficacité, proche d'une forme discursive basée sur la performance et la gestion efficace des tâches.
Enfin, à quelques rares occasions, le discours des participants emprunte à un discours plus libertaire, caractéristique d'une communauté préoccupée par l'aspect de la liberté individuelle et les problèmes de la démocratie. L'idée de progrès demeure présente dans cet argumentaire, progrès associé à la libéralisation de l'information et à la quête de la vérité.
En ce qui a trait à l'utilisation des fonctions syntaxique, le discours des participants fait preuve d'une richesse certaine. De façon générale, le locuteur utilise de nombreuses stratégies afin de rendre le discours plus vivant, la parole plus présente.
L'utilisation des fonctions syntaxiques dans le discours des participants relève ici d'un travail de mise au monde de la pensée. La parole exprimée n'a pas pour seul but de convaincre, ce que montre habituellement les fonctions syntaxiques, mais bien de rendre plus transparent le travail de la pensée du locuteur.
Les fonctions syntaxiques révèlent aussi le contexte de la communication, un contexte d'entrevue individuelle, où la communication est marquée par deux pôles bien déterminés, le locuteur et l'allocutaire. Les interactions communicationnelles sont rendues évidentes par le jeu des interrogations, des assertions et des exclamations, formulées manifestement à l'intention de l'allocutaire.
Les assertions générales sur les effets des TIC sur la société, effets présents et futurs, reflètent clairement les positions individuelles des participants. Encore ici, elles ont un caractère de vérité et ne sont pas justifiées. Elles servent à affirmer une position ou son contraire, selon le cas.
Tout le monde vivait en société avant et il n'y avait pas d’ordinateur! (ent-07)
Le monde s’en vient de plus en plus dans la technologie. (ent-10)
Le paysage qualificatif est restreint. Les participants n'ont pas une appréciation enthousiaste des TIC, comparable à celle retrouvée chez les promoteurs de l'intégration technologique à l'école, tel que décrit dans la précédente recherche (Sasseville, 2002).
L'utilisation de qualificatifs est donc rare et prudente. La technologie est évaluée selon ses mérites, liés souvent à une tâche spécifique. Ainsi, la rapidité, la facilité d'utilisation et les aspects pratiques reviennent souvent dans l'appréciation des participants.
Les qualificatifs tels que "pratique", "facile", "vite" ou "rapide", "efficace" et "utile" sont le plus souvent utilisés pour décrire les TIC ou les situations d'apprentissage utilisant les TIC.
Moi, je vois ça comme un avantage que c’est plus rapide de trouver de l’information. Puis, on a surtout une plus grande quantité d’informations convenables. (pré-01)Il me semble que c'est plus facile, ça te donne plus le goût de travailler… (ent-11)
On pourrait s’en passer, mais c'est pratique. (ent-12)
C'est juste que ça va plus vite, c'est plus rapide.[…] C'est l’accès, la rapidité nous fait qu'on veut plus aller sur l’ordinateur. (ent-14)
Dans un contexte de classe, ce sont les qualificatifs tels que "intéressant", "motivant", "captivant" et "stimulant" qui reviennent le plus souvent. Mais encore ici, leur utilisation demeure restreinte.
Ça c’est sûr... J’aime vraiment ça! C’est ça, c’est plus motivant. (pré-02)
Mais c’est sûr que c’est plus intéressant je trouve que d’écouter une personne qui parle puis qui dit la théorie... C’est plus intéressant. (pré-03)
Je peux pas te dire, en gros, pourquoi, mais c'est plus plaisant tout le temps. (ent-13)
Parfois, les TIC sont évaluées de façon plus globale, sans qu'elles soient rattachées dans le discours à une tâche ou une activité d'apprentissage précise. On remarque alors que l'évaluation positive est plus présente dans ce contexte. L'aspect de nouveauté est aussi plus souvent évoqué à cet égard. Encore une fois cependant, l'évaluation demeure relativement nuancée.
Le paysage qualificatif trahit donc une certaine retenue face aux TIC. Les participants sont plus sceptiques face aux promesses d'un monde meilleur apporté par la technologie. Confrontés jeunes à leur utilisation, ils sont à même d'évaluer avec plus de recul les possibilités qu'elles offrent.
Le travail de conviction est ainsi peu présent dans le discours, ce qui est confirmé par l'absence de figures de rhétorique et le peu de marques d'hétérogénéïté. Les participants ne font pas appel à ces stratégies qui visent généralement à rendre l'argumentaire convaincant.
Enfin, il faut souligner le peu d'éléments atypiques révélateurs dans le discours des participants. À cet égard, la répétition et les hésitations sont plus fréquentes mais elles font montre du travail spontané de construction de la pensée.
Malgré un discours très contextualisé, élaboré dans un cadre de communication relativement contraignant, l'analyse révèle un univers marqué par la technologie. Les participants font montre d'une familiarité certaine et d'une relative aisance dans l'utilisation des TIC, familiarité amenée par un contact précoce, fréquent et régulier avec ces outils.
L'analyse de première lecture du corpus d’entrevues révèle que le discours de ces élèves exprime une vision enthousiaste mais relativement prudente face aux TIC et à leurs effets sur l’apprentissage. Dans l'ensemble, les participants reconnaissent qu'elles ont un impact mais celui-ci demeure limité à des aspects très spécifiques, tel que la rapidité et la facilité dans la réalisation de travaux scolaires ou d'activités d'apprentissage en classe. Cette vision est très proche des celle exprimée par les enseignantes et enseignants lors de la précédente recherche (Sasseville, 2002).
Les TIC font partie désormais de leur univers et ils considèrent leur utilisation dans les activités d'apprentissage comme un facteur important de motivation. Cependant, ils ne voient pas ces outils comme un moyen d'améliorer leur rendement scolaire ou encore comme un facteur de réussite académique.
Les participants demeurent critiques face aux promesses de la technologie, telles que véhiculées par les média ou les promoteurs de l’intégration pédagogique des TIC. Ils soulignent les avantages liés à la facilité de communication, de recherche et de traitement de l’information, mais ils demeurent conscients des effets potentiellement négatifs de la technologie sur le travail et sur les relations entre individus. Ces effets néfastes pourraient à leur avis s'amplifier si, à l'avenir, la technologie venait à prendre une place trop importante dans la société. Cette position reprend les craintes suscitées par une forme d'envahissement technologique, véhiculée dans les média d'information et souvent qualifiée de déshumanisation ou d'aliénation.
La maîtrise des TIC demeure cependant perçue comme incontournable, en raison de leur omniprésence sur le marché du travail.
Ainsi, on ne peut parler ici d'un discours apologétique de l'intégration de la technologie à l'école. En fait, le discours des élèves se situe en dehors de la dialectique qui marque habituellement ces discours. Il demeure pragmatique, distinct des formes associées à chacun des pôles de cette dialectique. Le discours analysé ici demeure profondément ancré dans une culture humaniste et révèle une position proche de celle déjà exprimée par les enseignantes et enseignants face à l'intégration des TIC dans la pratique enseignante (Sasseville, 2002)
Au plan idéologique, le discours des élèves est marqué par une forme d'opposition à l'idéologie de la société de l'information en ce sens que le pouvoir de transformation attribué à la technologie demeure limité. Si les impacts sont grands dans la sphère du travail et de la communication, ceux-ci ne semblent pas majeurs au plan des relations humaines. Les craintes à cet égard concernent surtout l'évolution future de la société. Ainsi, les élèves font une distinction très nette entre la communication médiatisée, qui demeure fonctionnelle et associée au travail ou à des échanges plutôt superficiels, et la communication en face-à-face qui est considérée comme la seule forme véritable de contact entre les individus.
Par la minimisation des impacts des TIC sur la pédagogie, le discours des élèves du secondaire tend à mettre l'emphase sur l'aspect relationnel du contact pédagogique.
Cette position ne peut être perçue comme un simple refus du changement, les élèves interrogés étant à l'aise avec les nouvelles pratiques de travail et de communication amenées par la technologie. Il apparaît plutôt comme une volonté de réaffirmer la prépondérance de l'humain sur la machine, de l'importance des contact directs, essentiels dans un monde où ces derniers ne se produisent de plus en plus que sous une forme médiatisée.
Le discours est représentatif d'individus qui évoluent dans un monde caractérisé par la virtualité et fait montre de leur adaptation à cet univers particulier.
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La recherche dont fait l'objet cet article a reçu le soutien financier du Fond institutionnel de recherche de l'Université du Québec à Rimouski.
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