Authors
Martine Peters, Professeure, Département de linguistique et de didactique des langues, UQAM, Montréal, Québec. Courriel : peters.martine@uqam.ca
Jacques Chevrier, Professeur, Département des sciences d’éducation, UQO, Gatineau, Québec.
Raymond Leblanc, Professeur, Faculté d’éducation, Université d’Ottawa.
Gilles Fortin, Professeur, Université Saint-Paul, Ottawa, ON.
Judith Malette, Professeure, Université Saint-Paul, Ottawa, ON.
Résumé: Dans le cadre de cette recherche, nous avons examiné la compétence réflexive de futurs maîtres de français langue seconde lors de leur utilisation de deux outils, soit le webfolio et la carte conceptuelle. Notre collecte de données a été effectuée auprès de 18 étudiants de première année de la formation des maîtres de français langue seconde. Ceux-ci ont créé une carte conceptuelle qui représentait la structure de leur webfolio. Les cartes conceptuelles ont été analysées en fonction de leur complexité et de leur structure. La majorité des cartes conceptuelles étaient structurées en toile d’araignée ce qui démontre un niveau de complexité plus élevé que les structures à rayons et à chaînons, et par conséquent un niveau plus élevé de compétence réflexive. L’analyse des commentaires des étudiants sur l’utilisation d’une carte conceptuelle et d’un webfolio démontre une ouverture vers l’utilisation de carte conceptuelle comme outil d’organisation. Les étudiants jugent que la réflexion suscitée par la construction d’une carte conceptuelle et d’un webfolio leur donne l’occasion de réfléchir sur eux-mêmes en tant que futur enseignant, de faire preuve de créativité et d’utiliser leurs compétences technique et organisationnelle.
Abstract: In this paper, we examined the reflective competency of future French as a Second Language teachers while using two tools: the webfolio and the concept map. We collected data from 18 first-year students in French as a Second Language teacher education. They created a concept map which illustrates the structure of their webfolio. The maps were analyzed based on their complexity and structure. The majority of the maps were in a web structure, which signifies a higher complexity than the rays and links structures, and therefore a higher level of reflective competency. The analysis of the students' comments on their use of the concept map and webfolio shows their openness towards the concept map as an organizing tool. The students believe that the thinking arising by the development of a concept map and a webfolio gives them the opportunity to self-reflect as future teachers, to show creativity and to use their organizational and technical competencies.
Des transformations importantes au système d’éducation du Québec sont actuellement en cours afin d’améliorer la qualité de la formation et d’augmenter le taux de réussite des élèves du Québec (MEQ, 2001). La formation initiale à l’enseignement a donc elle aussi été repensée afin de s’harmoniser avec les changements proposés dans l’ensemble du système scolaire. Le concept de développement des compétences qui fait partie de la Réforme mise de l’avant par le ministère de l’Éducation se retrouve donc à la formation initiale. À la formation des maîtres en particulier, douze compétences professionnelles ont été ciblées. Certaines compétences sont transversales en ce sens qu’elles doivent être développées dans le cadre de la formation initiale au complet plutôt que dans le cadre de quelques cours. C’est le cas, entre autres, de la onzième compétence qui porte sur le développement de la compétence d’analyse réflexive. Cette compétence requiert du futur maître qu’il s’engage dans une démarche de développement professionnel, qu’il effectue une réflexion sur sa pratique, sur ses compétences (MEQ, 2001). Perrenoud (2001, p. 18) considère que « ce serait une funeste erreur … que de laisser à l’expérience et à la formation continue le souci de former des praticiens réflexifs ». Plusieurs auteurs (Lafortune, Mongeau, & Pallascio, 1998; Schön, 1994) affirment que c’est grâce à la réflexion qu’un étudiant devient bon enseignant puisque celle-ci lui permet d’évoluer, d’acquérir de l’expérience, en réfléchissant sur ce qu’il souhaitait accomplir, sur ce qu’il a réussi à accomplir et sur les résultats.
Lors de la conception du programme de formation des maîtres de langues secondes à l’UQAM, la meilleure façon d’optimiser le développement des compétences en particulier la compétence réflexive, a suscité de nombreuses discussions. Souvent, il est difficile de traduire le développement de compétences dans un contenu concret pour la formation des maîtres ( Richardson, 1990). Comme la compétence réflexive dépasse le cadre de quelques cours et s’applique à l’ensemble de la formation, le comité de programme a opté pour l’utilisation d’un « webfolio », en faisant le parie que cette initiative permettrait aux étudiants de développer cette compétence.
Dès leur première session au programme, les étudiants doivent donc créer un webfolio. Celui-ci évoluera tout au long de leur formation théorique et pratique. Dans tous les cours, les élèves doivent développer des artéfacts pour leur webfolio. Ce travail de longue haleine est évalué par un jury composé de professeurs et d’un enseignant du milieu scolaire lors d’une synthèse finale en quatrième année.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons examiné la compétence réflexive de futurs maîtres de français langue seconde lors de leur utilisation de deux outils, soit le webfolio et la carte conceptuelle. Il sera question du type et du degré d’organisation d’une carte conceptuelle en fonction de la compétence réflexive qu’ils suggèrent. Les commentaires des étudiants dans le cadre d’un forum de discussion virtuel seront aussi analysés.
Bien que les formateurs d’enseignants s’entendent pour dire que la réflexion est une caractéristique d’un bon enseignant, la définition de ce concept se révèle problématique (Braun & Crumpler, 2004). John Dewey (1963), un des pionniers dans le domaine, affirme que la réflexion consiste à choisir un sujet, à y concentrer son attention et à l’analyser. Hatton et Smith (1995) considèrent la réflexion comme étant un processus cognitif délibéré mettant en relation le sujet choisi, les connaissances antérieures et les croyances de la personne. Ce qui veut dire que lorsqu’un enseignant se retrouve devant une situation difficile, il doit examiner l’information, reformuler le problème, chercher des solutions, évaluer les conséquences et prendre les actions en fonction des résultats de sa réflexion (Giovannelli, 2003; Ross, 1989; York-Barr, Sommers, Ghere & Montie, 2001).
Schön (1987) décrit trois types de réflexion. Le premier type est une réflexion pratique effectuée avant une action afin de guider les actions à venir. Le deuxième consiste à réfléchir au moment même de la mise en œuvre d’une action alors que le troisième sert plutôt à examiner l’efficacité d’une action après coup. Or, la manière de stimuler ou déclencher ces trois types de réflexion à la formation des maîtres peut s’avérer assez complexe, d’autant plus que la réflexion n’est pas habituellement associée à l’enseignement, perçu comme une action immédiate alors que la réflexion est plutôt perçue comme une notion académique (Hatton & Smith, 1995).
Lors de leur formation pratique, les futurs maîtres ont tendance à imiter le type d’enseignement qu’eux-mêmes ont reçu et manifestent donc peu d’ouverture à la réflexion sur leur pratique et aux changements (Yost, Sentner & Forlenza-Bailey, 2000). De plus, bien souvent, les étudiants maîtres ne savent pas sur quoi réfléchir (Dieker & Monda-Amaya, 1997), d’où l’importance d’une conscientisation sur l’objectif de la réflexion lors de la formation des maîtres. Van Manen (1977) propose une hiérarchie de la réflexion pratique, qui a été adoptée depuis par plusieurs chercheurs (Hatton & Smith, 1995; Pultorak,1996; York-Barr et al., 2001; Yost, et al., 2000). Au premier pallier, on retrouve la réflexion technique qui consiste en une réflexion du praticien sur les meilleurs moyens à utiliser pour atteindre des objectifs précis et qui vise à respecter des critères d’économie, d’efficience et d’efficacité. Cette étape s’avère nécessaire à l’atteinte du second niveau de la réflexion pratique, celui de la réflexion praxique qui consiste en une réflexion du praticien sur un cadre de référence interprétatif et sur son engagement personnel face à ce cadre, avec pour but de développer une pratique personnalisée en fonction de croyances, de convictions et de valeurs personnelles. Enfin, le troisième niveau de réflexion pratique, celui de la réflexion critique, consiste en une réflexion du praticien sur des questions éthiques, politiques et sociales en rapport avec sa profession et les finalités de l’éducation, réflexion qui a pour but de comprendre comment sa profession est influencée par les structures et les idéologies sociales.
Il va sans dire que pour amener le futur maître à cette troisième étape, ce dernier devra avoir maintes occasions de pratiquer la réflexion tout au long de sa formation. D’après plusieurs auteurs (Desjardins, 2002; Read & Cafolla, 1999), la construction d’un portfolio à la formation des maîtres permet aux futurs enseignants de développer cette compétence réflexive.
Le concept de portfolio existe depuis très longtemps. Collectionner les meilleurs travaux afin de démontrer le développement d’un enfant au fil des années fait partie intégrante du rôle de parent. Cette pratique familiale a été reprise dans les établissements scolaires pour observer et évaluer la progression des apprenants. Ceux-ci choisissent les travaux qui représentent le plus fidèlement leurs efforts et les organisent, les trient selon des critères propres à eux dans un cartable, une boîte ou une enveloppe. Le portfolio a aussi été intégré comme outil d’apprentissage et d’évaluation à la formation initiale et continue des maîtres.
Un portfolio en enseignement est une collection structurée des meilleurs travaux d’un enseignant ; cette collection, qui est sélective, réflexive et coopérative, démontre les réalisations d’un enseignant dans le temps et dans une variété de contextes [ … ] . En ce sens, un portfolio est plus que la liste des réalisations d’un enseignant, il contient des échantillons du rendement dans l’enseignement (comme des plans de cours, des travaux d’élèves) et, accompagnant ces exemples, les réflexions de l’enseignant sur la signification de ce travail. (Desjardins, 2002, p. 8)
L’utilisation du portfolio relève de la théorie constructiviste puisque la réflexion et la création de liens entre les divers artéfacts permettent à l’apprenant de se construire un autoportrait fidèle et complet (Read & Cafolla, 1999). Or récemment, le portfolio a évolué pour devenir un webfolio ou eportfolio. Celui-ci est essentiellement une nouvelle forme de récipient pour les travaux des apprenants: un site Web contenant les artéfacts, les réflexions de l’étudiant et les liens entre ceux-ci. Peu encombrant et efficace, le webfolio, qui peut être hébergé sur un serveur informatique, permet une accessibilité à toute personne branchée sur Internet. On peut y insérer des illustrations, des photographies numérisées et des vidéos.
D’après Hartnell-Young et Morriss (1999), une des premières étapes de la création du webfolio consiste à choisir la façon dont il sera organisé afin d’en définir la vision. Le développement de critères pour l’inclusion ou l’exclusion d’artefacts dans le webfolio, ainsi que le développement d’une justification pour cette décision favorise l’autoévaluation et la réflexion de la part de l’apprenant.
Selon Martin-Kniep (1999), il existe quatre principaux canevas ou structures de webfolios pour le futur enseignant. L’étudiant peut raconter son histoire en ayant recours à une approche narrative. Il peut avoir recours à l’approche comparative pour évaluer son passé, son présent et son avenir, organiser son webfolio en fonction du rôle qu’il jouera en tant qu’enseignant ou structurer son webfolio selon les buts fixés, les compétences professionnelles à développer. Il va sans dire que l’étudiant peut combiner les canevas de différentes façons.
Dans le cadre du programme de formation des maîtres en français langue seconde de l’UQAM, les étudiants doivent réfléchir à l’organisation de leur webfolio en produisant une carte conceptuelle de sa structure.
La carte conceptuelle constitue un outil pédagogique puissant et versatile qui s’adapte à plusieurs fonctions et à plusieurs contextes éducatifs (Chevrier & Charbonneau, 1992). L’une de ces fonctions, selon Novak et Gowin (1984), est de favoriser la réflexion des apprenants en leur permettant de manipuler les concepts, de les rassembler et de les diviser pour ensuite mieux se les approprier. La carte conceptuelle représente la structure des connaissances d’une personne au sujet d’un concept ou d’un sujet donné. Les concepts principaux sont organisés en fonction de liens qui explicitent la relation entre ces concepts : des exemples, des composantes, des caractéristiques, etc. (Van Zele, Lenaerts & Wieme, 2004).
Stoddart, Abrams, Gasper et Canaday (2000) identifient trois types de cartes conceptuelles en fonction de leur confection. Le premier type consiste en un gabarit dans lequel un certain nombre de concepts et de liens pré-établis doivent être insérés. Le deuxième type laisse l’apprenant complètement libre de choisir les concepts et les liens qu’il juge importants. Le dernier type de carte conceptuelle se situe entre les deux premiers avec une liste de concepts pré-établis, mais sans aucune restriction sur la façon dont la carte doit être conçue. C’est le deuxième type de carte qui a été utilisé dans la présente étude afin de laisser toute la liberté de création aux étudiants.
D’autre part, Kinchin, Hay et Adams (2000) réfèrent à l’organisation des concepts pour distinguer trois architectures de cartes conceptuelles. Lorsque le concept clé est lié à tous les autres concepts qui eux-mêmes ne sont pas reliés entre eux, les auteurs parlent d’une structure à rayons (spoke). Une deuxième architecture, la structure à chaînons (chain) présente une séquence linéaire, dans laquelle chaque concept est lié seulement à celui qui le précède et à celui qui le suit. Dans ce cas, les auteurs spécifient qu’il y a une séquence logique du début à la fin, mais que la nature hiérarchique de plusieurs liens n’est pas nécessairement affirmée. Enfin, les cartes conceptuelles de type toile d’araignée (net) démontrent une compréhension profonde des concepts par un réseau hautement intégré et hiérarchique.
West, Pomeroy, Park, Gerstenberger et Sandoval (2000) présentent diverses composantes de cartes conceptuelles. Les auteurs définissent un regroupement thématique de concepts comme étant un domaine de connaissances. Le lien direct est celui qui relie deux concepts à l’intérieur d’un même domaine de connaissance alors que le lien croisé relie deux concepts qui n’appartiennent pas au même domaine de connaissance. La hiérarchie, toujours selon West et al. (2000), représente une organisation de concepts commençant par un concept plus général auquel sont liés des concepts plus spécifiques. Finalement, les exemples sont liés au concept et ont pour but de l’expliciter.
Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que la carte conceptuelle est un outil métacognitif pour faciliter l’organisation des connaissances (Edmonson & Smith, 1996; Kinchin et al, 2000; Novak, 2002) et pour favoriser la réflexion (Audet, 2003; Fichtman Dana, 1993). Des recherches ont aussi ont montré un lien entre la complexité de l’organisation des cartes conceptuelles et l’expérience en enseignement (Strahan, 1989) d’une part et l’efficacité de la formation en enseignement d’autre part (Roehler et al., 1990).
Pour ces raisons, la carte conceptuelle a été choisie comme outil pour les futurs enseignants puisque ceux-ci, en organisant leur webfolio, doivent réfléchir sur leur travail et sur leur choix de profession.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons examiné la compétence réflexive des étudiants par le biais de l’élaboration d’un webfolio. Plus précisément, nos questions de recherches étaient les suivantes :
Quelle compétence réflexive manifestent les étudiants dans l’élaboration d’un webfolio?
Quel degré et quel type d’organisation retrouve-t-on dans les cartes conceptuelles élaborées par les étudiants pour planifier leur webfolio?
Notre collecte de données a été effectuée auprès des étudiants de première année de la formation des maîtres de français langue seconde. Il s’agissait de 17 femmes et d’un homme pour un total de 18 participants. La grande majorité des étudiants (72 %) avait moins de 29 ans alors que 24 % d’entre eux étaient dans le groupe d’âge 30 à 39 ans et deux seulement (4 %) avaient plus de quarante ans.
Les données présentées ci-dessous ont été recueillies pendant le trimestre d’automne 2004. Pendant le cours, les étudiants devaient préparer deux cartes conceptuelles portant sur leur portfolio. La consigne donnée aux étudiants était de créer une carte conceptuelle qui représenterait la structure de leur webfolio.
La première carte a été effectuée vers la mi-novembre afin de permettre aux étudiants de se familiariser avec le logiciel « Inspiration® » et avec les cartes conceptuelles en général. Cette première carte a fait l’objet de commentaires formatifs de l’enseignant afin de permettre aux étudiants d’améliorer leur deuxième carte conceptuelle. Celle-ci était à remettre à la mi-décembre avec le webfolio. Pour cet article, l’analyse porte sur cette deuxième carte conceptuelle.
Plusieurs auteurs ont suggéré des méthodes d’analyse des cartes conceptuelles. Stoddart et al. (2000) décrivent trois types d’analyse : l’analyse basée sur la complexité d’une carte conceptuelle, l’analyse basée sur la validité ou la véracité du contenu et l’analyse qui combine les deux premiers types d’analyse. McClure, Sonak et Suen (1999) proposent deux types d’analyse qui sont semblables à ceux de Stoddart et al., soit l’analyse de la structure de la carte conceptuelle et l’analyse des relations entre les concepts.
Pour notre analyse de données, il était impossible d’effectuer une analyse basée sur la validité du contenu ou sur les relations entre les concepts, puisqu’il ne s’agit pas de concepts pouvant être incorrects. Les concepts constituent ici le parcours individuel de chacun des étudiants. Il est donc impossible d’affirmer, par exemple, qu’une expérience vécue par un étudiant n’est pas véridique et que la relation proposée entre cette expérience et une autre n’est pas valide. Nous avons donc choisi d’analyser les cartes conceptuelles en fonction de leur complexité, de leur structure.
Nous avons adopté une méthode quantitative d’analyse proposée par plusieurs auteurs (McClure et al., 1999; West et al., 2002), méthode qui consiste à attribuer des points de la manière suivante : deux points pour chaque lien direct (concept-link), dix points pour chaque liens croisés (cross-link), cinq points pour chaque hiérarchie (hierarchy) et un point pour chaque exemple donné. Les auteurs suggèrent aussi de ne pas accorder de point pour les composantes non valides. Cette procédure n’a pas été appliquée pour les raisons évoquées plus haut. Cette méthode d’analyse a été employée pour examiner le degré d’organisation des cartes conceptuelles alors que la classification de Kinchin et al. (2000) a été utilisée pour déterminer le type d’organisation des cartes conceptuelles.
De plus, dans le cadre d’un forum de discussion virtuel, les étudiants ont eu l’occasion tout au long de la session de commenter les théories d’apprentissage, le matériel didactique utilisé, les stratégies d’enseignement et les activités qui leurs étaient présentées dans le cadre du cours. À chaque semaine, une question affichée dans le forum avait pour but de servir de déclencheur de discussion. À la douzième semaine de cours, les étudiants devaient commenter leur apprentissage au cours de la session en fonction des outils et des activités. Plusieurs étudiants se sont exprimés sur l’utilisation de la carte conceptuelle dans le processus de planification de leur webfolio. Les commentaires des étudiants ont été analysés qualitativement et sont présentés dans la section résultats ci-dessous.
Au total, 18 cartes conceptuelles ont été recueillies. Celles-ci ont été catégorisées selon la classification explicitée ci-dessous. Toutes les cartes conceptuelles ont été recodées dans le but d’établir un indice de fidélité. L’indice d’accord inter-juges ainsi obtenu est de 94%.
Lorsque nous avons voulu catégoriser les cartes conceptuelles de nos étudiants selon la classification de Kinchin et al. (2000), nous nous sommes rendus comptes que cette classification ne rendait pas justice à la complexité de nos données. C’est pourquoi nous avons choisi de modifier quelque peu la classification. La définition que donnent Kinchin et al. de la structure à chaînons indique que tous les concepts sont reliés au concept principal. Or, ces chercheurs ont effectué leur collecte de données auprès de jeunes élèves. Cette architecture peut exister auprès d’enfants mais il est peu probable qu’un adulte choisira d’élaborer une carte conceptuelle ne contenant qu’un seul niveau de complexité. D’ailleurs, cette architecture ne se retrouve pas dans les cartes conceptuelles de nos étudiants. Par contre, il est possible de distinguer divers niveaux de complexité dans les deux autres catégories proposées par Kinchin et al. dans les cartes conceptuelles de nos étudiants. Voici donc comment nous avons choisi de classifier les cartes conceptuelles de nos étudiants en modifiant la classification de Kinchin et al. (2000).
Pour la structure à rayons, nous avons gardé la définition de Kinchin et al. d’une architecture ne contenant qu’un seul niveau de concepts, tous liés au concept principal. Cette structure ne contient donc aucune hiérarchie autre que la hiérarchie initiale qui divise le concept principal. Pour la structure à chaînons, nous avons opté de spécifier qu’elle ne pouvait contenir aucune hiérarchie autre que la hiérarchie initiale, ni lien croisé. Quant à la structure de toile d’araignée, elle doit contenir des liens croisés et des hiérarchies. Nous proposons une structure intermédiaire qui comporte un niveau de complexité qui se situe entre les deux premiers types de structures et la structure de toile d’araignée. Cette structure peut contenir des liens croisés ou des hiérarchies mais non les deux.
Selon cette classification adaptée, des 18 cartes conceptuelles construites par les futurs maîtres, une seule possédait une structure à chaînons (voir figure 1 pour un exemple), trois étaient de type intermédiaire (voir figure 2), tandis que quatorze étudiants maîtres avaient organisé leur webfolio en fonction d’une structure de toile d’araignée (voir figure 3).
Tableau 1 : Nombre de concepts par type de structure
Le nombre moyen de concepts pour les cartes ayant une structure à chaînons était de 38 alors qu’il était de 22,6 pour les cartes pour les structures intermédiaires et 31,2 pour les cartes ayant une structure de toile d’araignée.
Le calcul des scores (McClure et al., 1999) illustre une distinction claire entre les trois types de cartes conceptuelles.
Tableau 2 : Scores pour le degré d’organisation selon les trois types de structures
Les scores minima sont assez semblables pour les deux premiers types de structure, alors qu’ils sont plus élevés pour les cartes conceptuelles ayant une structure d’araignée. Cependant, les scores maxima se distinguent dans les trois catégories. Ceci se traduit par un score moyen de 40 et 57 pour les cartes conceptuelles à chaînons et intermédiaire et un score moyen beaucoup plus élevé de 158 pour les cartes conceptuelles de structure toile d’araignée.
Dans une première analyse des liens retrouvés dans toutes les cartes conceptuelles, nous pouvons voir dans les cartes conceptuelles un total de 520 liens directs entre les concepts. Les liens croisés étaient beaucoup moins nombreux avec un total de 57 liens croisés effectués par les étudiants. Quant aux hiérarchies contenues dans les diverses cartes conceptuelles, il y en avait 145. Certains étudiants n’avaient inclus aucun exemple dans leur carte conceptuelle alors qu’un étudiant avait inclus un maximum de 18 exemples dans sa carte. Au total, les étudiants ont donné 121 exemples Le nombre total de liens était de 843.
Tableau 3 : Nature et nombre de liens en fonction du type de carte conceptuelle
L’examen des moyennes de tous les types de liens nous permet de constater que les futurs maîtres qui ont structuré leur carte conceptuelle en toile d’araignée ont eu recours à plus de liens, de hiérarchie et d’exemples que ceux qui ont organisé leur carte conceptuelle avec une structure à chaînons ou une structure intermédiaire. Les moyennes entre les cartes conceptuelles à chaînons sont toujours plus basses que celles des cartes conceptuelles de type intermédiaire sauf pour le nombre d’exemples.
Le tableau 4 démontre que c’est au niveau des liens croisés et des hiérarchies qu’on retrouve le plus de différence entre les trois types de cartes conceptuelles. En effet, les liens croisés sont inexistants et les hiérarchies sont peu présentes dans les deux premiers types de cartes conceptuelles alors qu’ils sont beaucoup plus visibles dans toutes les structures de toile d’araignée.
Tableau 4 : Nature et nombre de liens par étudiant
Il importe de noter les nombreux exemples donnés par l’étudiant A qui se distingue des trois étudiants qui ont opté pour une structure de type intermédiaire et qui n’ont presque pas donné d’exemple. Par contre, aucune tendance ne peut être relevée chez les étudiants ayant une structure de toile d’araignée puisque certains n’ont inclus aucun exemple alors que d’autres s’en sont servis abondamment.
Dans le cadre du forum de discussion du cours, nous avons recueilli des commentaires des étudiants sur la carte conceptuelle pour leur webfolio. Le professeur avait demandé aux étudiants de commenter les apprentissages vécus dans ce cours durant la session. Les commentaires ont été classés en fonction de quatre catégories émergentes.
Tableau 5 : Commentaires des étudiants dans le forum de discussion
La première catégorie émergente démontre que les étudiants semblaient heureux d’apprendre à se servir de la technologie pour construire leur carte conceptuelle. Deuxièmement, les étudiants ont reconnu que la conception d’une carte conceptuelle leur avait facilité l’organisation de leurs idées et de leur webfolio. La troisième catégorie porte sur l’intérêt de l’aspect créatif, artistique de la carte conceptuelle. Finalement, la conception d’une carte conceptuelle, a stimulé les étudiants à réfléchir sur leur perception d’eux-mêmes en tant qu’enseignant.
Cette section portera sur la signification de l’utilisation d’un type d’organisation de la carte conceptuelle et du degré d’organisation de celle-ci. Puis, nous discuterons des données qualitatives en fonction de la compétence réflexive qu’elles suggèrent.
Type et degré d’organisation des cartes conceptuelles
Une analyse préliminaire des cartes conceptuelles permet de constater que quatorze étudiants sur dix-huit (78 %) ont organisé leur webfolio en fonction d’une structure de toile d’araignée. Cette structure est celle qui est idéalement recherchée puisqu’elle démontre, selon Kinchin et al. (2000), un niveau de complexité plus élevé que les structures à rayons et à chaînons, et par conséquent un niveau plus élevé de compétence réflexive. Les auteurs notent qu’une carte conceptuelle ayant une structure de toile d’araignée a une intégrité plus élevée puisqu’elle peut facilement être modifiée en ajoutant des concepts. Une autre « route » peut en effet être utilisée pour relier les concepts contrairement à la carte conceptuelle de type chaînons. Celle-ci peut difficilement intégrer de nouveaux concepts, surtout au début des séquences.
Or, la carte conceptuelle des étudiants n’en est qu’à ses débuts. Elle évoluera au fil de leur formation. Ceux qui ont opté pour les structures à chaînons et intermédiaire pourront difficilement intégrer de nouveaux concepts et continuer leur carte conceptuelle avec une structure plus complexe. Ils devront donc choisir de poursuivre avec leur structure de départ en essayant d’intégrer les nouveaux concepts du mieux qu’ils le pourront ou recommencer une toute nouvelle carte conceptuelle. Quant aux étudiants qui ont choisi une structure de toile d’araignée dès la construction de leur carte conceptuelle, ils pourront continuer d’y ajouter ou d’enlever des concepts en fonction des modifications faites à leur webfolio, sans affaiblir ou sans nuire à l’intégrité de leur carte conceptuelle.
Le nombre de concepts présentés par les étudiants donne aussi un indice du genre de réflexion qu’ils ont effectuée. On constate que les étudiants ayant choisi une structure de type intermédiaire se sont aussi moins investis quant au nombre de concepts présentés, puisqu’ils sont ceux qui ont la moyenne la plus basse. Est-ce parce qu’ils n’ont pas choisi d’approfondir leur réflexion sur leur webfolio? Est-ce par manque de temps ou d’intérêt? Cette tendance n’est pas présente auprès des étudiants qui ont choisi les deux autres types de structure de carte conceptuelle. Manifestement, ces derniers ont davantage réfléchi au contenu à inclure dans leur webfolio puisqu’un plus grand nombre de concepts est présent.
Par contre, l’étudiante qui a eu recours à la structure à chaînons présente une contradiction quant au nombre de concept et à la structure choisie. En effet, le nombre de concepts indique un niveau de réflexion élevé mais la structure choisie indique un degré d’organisation faible et donc moins réfléchi. Il est possible que l’étudiante soit à une étape où elle voit les nombreux concepts à intégrer au webfolio mais ne voit pas encore très bien les liens possibles entre ces concepts.
Les scores attribués explicitent les distinctions entre les trois types de cartes conceptuelles. En effet, si le nombre de concepts plus élevé permet déjà de distinguer la carte conceptuelle de type toile d’araignée des deux autres, les liens démontrent bien le plus haut niveau de réflexion des étudiants qui ont eu recours à cette structure. En effet, les futurs maîtres ayant choisi de présenter leur webfolio par une carte conceptuelle de type toile d’araignée ont plus de liens qu’ils soient croisés ou directs, plus de hiérarchies et plus d’exemples. Les étudiants maîtres ont donc davantage mis en relation les divers concepts et ont opté d’appuyer leurs idées par la présentation de nombreux exemples.
Quant aux commentaires des futurs maîtres sur la création d’une carte conceptuelle, ceux-ci sont en général positifs et démontrent une ouverture vers l’utilisation de carte conceptuelle comme outil d’organisation. C’est d’ailleurs cet aspect de la carte conceptuelle qui a retenu le plus l’attention des étudiants maîtres. Ceux-ci se sont déclarés enthousiastes quant à la facilitation de l’organisation de leur webfolio grâce à la carte conceptuelle.
« Les cartes conceptuelles à mon avis nous ont aidés à nous découvrir, à synthétiser notre pensée et nos idées, à voir les liens entre de nombreux points. »
L’utilisation de la carte conceptuelle pour l’organisation de la pensée a d’ailleurs été relevée par d’autres auteurs. Novak (2002) soutient que la construction de cartes conceptuelles permet une restructuration des concepts chez les apprenants alors que BonJaoude et Attieh (2003) affirment que cette construction aide l’organisation de nouvelles informations et leur rétention. Cependant, ces derniers ajoutent que l’efficacité de cet outil dépend d’une bonne préparation à la construction de carte conceptuelle, car la technique peut être difficile à maîtriser. À cet effet, un seul étudiant a commenté la préparation à la construction de la première carte conceptuelle.
« Ah oui, un travail que j'ai trouvé moins drôle fut la première carte conceptuelle concernant l'organisation du webfolio. On dirait que nous avons fait les étapes à l'envers... Cette carte n'a rien valu pour moi car j'ai été obligé de la changer au grand complet. Nous ne savions pas encore en quoi consistait exactement le webfolio. »
Ce commentaire indique bien l’incertitude causée par le manque de préparation, par la difficulté de bien comprendre la tâche et de faire les liens entre ce qui devait se retrouver dans la carte conceptuelle et dans le webfolio.
Certains étudiants maîtres ont fait des commentaires sur la créativité suscitée par la carte conceptuelle. Peterson et Snyder (1998) attirent l’attention sur le fait que la construction de cartes conceptuelles favorise la pensée créatrice en plus de rencontrer les besoins d’apprenants ayant des styles d’apprentissage différents, car elle offre une alternative active, visuelle pour ceux que les techniques traditionnelles rejoignent moins. Quoique l’emploi du logiciel Inspiration ait été apprécié par plusieurs, certains futurs maîtres ont choisi de dessiner leur carte à la main plutôt que d’utiliser le logiciel suggéré et pour lequel ils avaient tous reçu une formation. Nombreux ont été les étudiants maîtres qui ont commenté le plaisir qu’ils ont eu à construire leur carte conceptuelle avec le logiciel. La facilité de création avec ce logiciel a possiblement permis aux étudiants de se concentrer davantage sur la réflexion apportée à l’organisation.
Quant à la réflexion suscitée par la construction d’une carte conceptuelle et d’un webfolio, les étudiants étaient d'accord que cette activité leur donnait l’occasion de faire le point sur eux-mêmes.
« Avant, je ne savais même pas, comme la plupart de mes collègues, je pense, ce qu’étaient un webfolio ou une carte conceptuelle. Ce que j’apprécie de ces deux fameuses techniques, c’est qu’elles constituent « une sorte de biographie » de chacun de nous.»
La réflexion suscitée par la construction d’une carte conceptuelle est un phénomène commenté par plusieurs chercheurs (Edmonson et Smith, 1996; Meijer, Zanting & Verloop, 2002). La construction par un enseignant d’une carte conceptuelle offre le temps d’arrêt nécessaire à la réflexion sur sa pratique, sur ses forces et ses faiblesses et contribue donc à sa croissance personnelle. Fichtman Dana (1993) précise que la construction d’une carte conceptuelle permet aux futurs enseignants de se rendre compte qu’ils peuvent aller puiser en eux pour trouver des réponses.
En examinant les commentaires des étudiants en fonction des trois niveaux de réflexion de Van Manen (1977), il est d’ailleurs possible de voir que plus de la moitié des commentaires (62,5%) demeure au niveau de la réflexion technique. En effet, les commentaires portant sur la technologie et sur l’organisation des idées portent surtout sur le caractère pratique et l’efficacité de la carte conceptuelle. Quant aux commentaires portant sur la créativité, ils viennent plutôt s’insérer au deuxième pallier de la compétence réflexive puisqu’il est question d’engagement personnel dans la création de la carte conceptuelle. Il est toutefois encourageant de voir que six commentaires sont de nature critique, car les étudiants ont indiqué qu’ils réfléchissaient sur leur choix de carrière, sur leur insertion professionnelle.
Cette analyse démontre donc que la création d’une carte conceptuelle a permis aux étudiants de réfléchir sur l’organisation de leur webfolio ainsi que sur les compétences qu’ils ont développées au cours de cette activité.
L’analyse des cartes conceptuelles telle que présentée dans cet article, démontre que les futurs maîtres ont recours à la réflexion lors de la construction d’une carte conceptuelle. Cette première étape dans l’organisation de leur webfolio leur donne l’occasion de réfléchir sur eux-mêmes en tant que futur enseignant, de faire preuve de créativité et d’utiliser leurs compétences technique et organisationnelle. Cependant, il ne faudrait pas oublier de bien préparer les participants à l’activité afin qu’ils puissent en retirer tous les bénéfices possibles. La présentation des différentes structures de carte conceptuelle pourrait encourager les étudiants à réfléchir davantage à leur choix de structure plutôt que de les laisser complètement libres d’organiser leur carte conceptuelle sans réflexion.
La richesse des cartes conceptuelles comme outil de préparation d’un webfolio a été bien démontré tant par le niveau et le degré d’organisation, que par le niveau de réflexion suscité par les étudiants. La prochaine étape de notre étude sera donc de faire une analyse qualitative du contenu de la carte conceptuelle en lien avec le webfolio, qui a été réalisé à partir de la réflexion suscitée par la carte conceptuelle.
Finalement, il importe de noter le potentiel de la méthode utilisée ici pour l’analyse de cartes conceptuelles. Cette analyse donne un aperçu intéressant du niveau de réflexion du concepteur de la carte et offre un regard différent d’une analyse traditionnelle.
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Figure 1 : Carte conceptuelle ayant une structure à chaînons
Figure 2 : Carte conceptuelle ayant une structure intermédiaire
Figure 3 : Carte conceptuelle ayant une structure de toile d’araignée
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