Auteur Martine Leclerc est Agente d’éducation qui poursuit ses études de doctorat à la faculté d’Éducation de l’Université d’Ottawa. Courriel: martine.l@rogers.com; martine.leclerc@edu.gov.on.ca
This case study, which provides an interim report of the research conducted, describes the changes experienced by teachers after participating for three months in a project to integrate information and communications technologies (ICT) into an Ontario secondary school. The goal was to determine what changes occurred and what factors either fostered or impeded them. The participating teachers perceived active leadership in the school and social pressure to be the emergent positive change factors. On the other hand, they viewed a lack of available tools, time, and anxiety as being the main constraints. Profound changes in the roles of the teacher and the student were also noted during this period, changes that the teachers attributed to the integration of ICT into the curriculum.
L’étude, qui constitue un rapport intérimaire de recherche examine, par la méthode d’étude de cas, les changements vécus par le personnel enseignant depuis trois mois suite à la participation à un projet d’intégration des nouvelles technologies dans une école secondaire de l’Ontario. Le but est de déterminer, à partir d’une étude sur le terrain, les changements vécus par le personnel enseignant depuis la participation à des projets d’intégration des TIC et d’apporter des indications sur les facteurs qui favorisent ces changements et sur ceux qui les freinent. Les facteurs positifs de changement tels les avantages perçus par le personnel enseignant, un leadership actif et les pressions sociales sont mis en évidence. D’autre part, les problèmes tels le manque d’outils et de temps ainsi que les craintes du personnel constituent les principales difficultés. On constate aussi des transformations profondes du rôle de l’enseignante et de l’enseignant et celui de l’élève, changement que ce personnel attribue à l’intégration des TIC.
Qu’on le veuille ou non, les TIC font maintenant partie des grands courants de notre société et l’école ne peut plus ignorer leur influence. La Commission royale sur l’éducation (1994) recommandait d’ailleurs l’utilisation des outils de l’informatique pour que la formation en milieu scolaire s’adapte au monde extérieur, et pour amener les jeunes, avec le concours de leurs enseignants, à acquérir une capacité de réflexion ouverte à la créativité, une collaboration et un raisonnement supérieur. Les pressions exercées par la communauté, le pouvoir accru par le conseil d’école sur les questions pédagogiques, la compétition entre les écoles par le biais d’évaluation de performance (Conseil des ministres de l’éducation du Canada, 1998) et les budgets alloués pour les technologies (Ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario, 1997; Ministère des finances, 2001) font en sorte que l’école se sent dans l’obligation d’exploiter les TIC. L’accès à du matériel informatique et à des connexions Internet ne garantit pas pour autant le succès de l’intégration des TIC à l’école. Quoique le personnel enseignant et les élèves puissent compter sur des ordinateurs et des outils de communication, ils ne les utilisent que très peu ( Bibeau, 1996; Duarte, 2000; Isabelle, 2002; Isabelle, Lapointe & Chiasson, 2002; Laferrière, 1997; Toci &Peck, 1998). Dans ce contexte, la question traitant de l’obligation d’exploiter les TIC et des changements qui en découlent est tout à fait pertinente.
Pour bien comprendre le phénomène de l’intégration des TIC à l’école, il convient de présenter les recherches qui traitent de l’impact pédagogique de celles-ci, des barrières qui affectent leur intégration et des facteurs qui la favorisent. L’intégration des TIC passe d’abord par une modification des pratiques d’enseignement. Plusieurs recherches font état de l’obligation pour l’enseignant de porter son attention, non pas essentiellement sur la maîtrise des technologiques comme telle mais plutôt sur l’intégration de cette technologie pour favoriser l’amélioration de l’apprentissage chez l’élève. (Bibeau, 2001; De Depover, & Strebelle, 1996; Holahan, Jurkat, & Friedman, 2000; Isabelle, 2002; Tardif, 1998) . L’enseignant doit aider les élèves à apprendre, à consulter, à structurer, à analyser, à synthétiser et à communiquer (Isabelle, 2002) comparativement à l’approche traditionnelle où des quantités d’informations sont transmises de façon linéaire et où l’informatique constitue une discipline à part (Papert, 1994). L’intégration significative des technologies à l’école impose à l’enseignant de revoir sa conception de l’apprentissage et de l’enseignement et de privilégier des pratiques qui mettent l’accent sur une forte contextualisation des informations et des apprentissages (Marton, 1998; Tardif, 1998). Ces modifications des pratiques d’enseignement se traduisent également par un changement de rôle: l’enseignant fait appel à un réseau d’experts, joue le rôle de guide dans la recherche de l’information, aide à poser des questions et à résoudre des problèmes (Laferrière, 1996, 2001).
Plusieurs études se sont penchées sur les barrières qui limitent l’intégration des TIC. Celles-ci sont de deux types : les sources externes et les sources internes. Les sources externes sont le manque d’outils, de temps pour préparer les cours en utilisant les TIC et pour apprendre le fonctionnement des logiciels, de soutien technique, de formation et d’accompagnement. Les barrières internes face à l’intégration des TIC se résument aux croyances des enseignants, à leur perception au sujet de la technologie et à leur perception du niveau de leur compétence face à la technologie (Depover & Strebelle, 1996; Isabelle, 2002; Rogers, 2000; Sherry, 1998).
D’un autre côté, la présence à l’école d’au moins un enseignant s’investissant fortement dans les nouvelles technologies, l’attitude du directeur, l’habitude du personnel de l’école de travailler en équipe, de même que les soutiens locaux (équipement, appui technique) semblent être des facteurs favorables à l’intégration des TIC (Atkins & Storey Vasu, 2000; Harrari, 2000). D’autre part, chez les enseignants novices, il semble que le modelage qui se traduit par l’exposition aux discours et aux pratiques d’utilisation des TIC par des enseignants chevronnés et l’interaction avec ces derniers constitue un des facteurs affectant la probabilité d’utilisation des TIC (Larose, Lenoir, Karsenti & Grenon, 2002). Des recherches récentes soulignent que certaines pratiques pédagogiques valorisées par les enseignants sont très favorables à l’intégration des TIC: l’intervention de nature socio-constructiviste, l’approche collaborative, la conception intégratrice des matières scolaires et la pédagogie centrée sur l’apprenant activée par la réalisation de projets significatifs (Breuleux, Gurtner, Larose, Retschitzki & Rhéaume, 1997; Desjardins, Bélair & Boyer, 2000; Harrari, 2000; Lawson & Comber, 2000; Neil, 1995; Tardif, 1996).
Les croyances des enseignants jouent un rôle fondamental dans l’adoption ou le rejet de l’innovation que constitue l’intégration des technologies. En effet, les enseignants décideront d’exploiter ou non les TIC selon qu’ils perçoivent les TIC comme efficaces ou dangereuses dans leurs activités didactiques (Caruganti & Tomasetto, 2002). De plus, les échecs du passé conditionnent les croyances des enseignants en matière technologique et favorisent la diffusion de l’idée qu’elles ne sont qu’une mode passagère et n’auront pas de véritables applications pratiques en éducation (Heide & Henderson, 1996; Noble, 1996). Caruganti et Tomaretto (2002), insistent sur l’importance de la dimension idéologique. Celle-ci n’évoluera que dans la mesure où la conception du rapport au savoir et des modèles d’intervention progresseront, ce qui demande un changement en profondeur des pratiques éducatives (Larose et al., 2002). Notons que selon l’étude de Breuleux et al. (1997), les enseignants répondent différemment aux contraintes liées aux TIC et que ceci dépend de leurs croyances. Même s’ils ont les mêmes barrières, ils ne sont pas affectés de la même façon.
En même temps que s’inscrivent l’utilisation des ordinateurs et l’accès au réseau Internet dans l’école comme faisant partie des attentes sociales, des pressions importantes s’exercent sur les institutions scolaires. La réalité se traduit par une véritable contradiction: les administrateurs scolaires continuent de faire l’acquisition de matériel informatique très coûteux tout en reconnaissant que les méthodes d’enseignement ne reflètent que très peu l’utilisation des TIC. C’est dans cet optique que s’inscrit la présente étude de cas dont le but est de faire une évaluation précoce d’étape dans le processus d’implantation d’une innovation et de décrire les changements vécus depuis trois mois par le personnel enseignant d’une école secondaire de l’Ontario suite à l’arrivée massive de matériel informatique découlant d’un projet de financement particulier.
Afin de préciser les facteurs qui incitent les enseignants à adopter une innovation telle que l’intégration des TIC dans l’enseignement, plusieurs perspectives théoriques possibles ont été considérées.
L’innovation se définit comme étant une action délibérée; elle a pour origine une intention d’introduire un changement à l’intérieur d’un contexte existant (Cros, 1996; Huberman, 1983). Ce qui distingue une innovation d’un changement, c’est le caractère délibéré associé à la planification. Autrement dit, l’innovation se conçoit comme un changement volontaire et comme une tentative pour transformer, en vue de les améliorer, des aspects très précis du système scolaire (Cros, 1996; Ducros, 1996; Garant, 1996; Huberman,1983; Finkelsztein & Ducros, 1996). L’innovation implique un changement dans la « vision partagée » des acteurs de l’établissement en transformant leurs représentations (Garant, 1996; Pelletier, 1996). L’implantation de l’innovation oblige à une transformation de l’idée première grâce à l’appropriation qu’en feront les individus. Ceux-ci passent d’un état de non-savoir et d’incertitude à celui de représentation significative (Fullan, 2001). Innovation et changement sont donc intimement liés. Il est donc nécessaire d’examiner les théories portant sur le processus de changement.
Dans cette section, nous vous présentons cinq modèles qui permettent de mieux comprendre le phénomène de changement: celui de diffusion et d’innovation de E.M.Rogers (1983); le modèle de Hall et Hord (1987) appelé CBAM; le changement planifié de Savoie-Zajc (1993) et de Fullan (2001) et finalement le modèle du champ de forces de Colerette et Delisle (1982).
Le modèle de diffusion de l’innovation de E. M. Rogers (1983) permet de décrire le processus de changement à partir de trois étapes: déverrouillage, mouvement et verrouillage. Il permet de comprendre les caractéristiques des novateurs et des résistants. Ce modèle voit l’innovation comme le processus de pénétration de l’idée ou d’un nouveau produit dans une collectivité et permet de saisir la perception des individus face à l’élément nouveau présenté et d’en voir l’évolution. Ainsi, pour être acceptable, une innovation devrait posséder certaines caractéristiques parmi celles-ci : l’avantage relatif, la compatibilité, la complexité l’échantillonnage et les conséquences observables. Selon cet auteur, le choix des stratégies de changement dépend essentiellement de la façon dont est vécue l’expérience et du degré de satisfaction des individus impliqués. Ce modèle nous sera utile pour situer le contexte de notre étude.
Le modèle de Hall et Hord (1987) est connu sous le nom de CBAM ( Concerns Based Adoption Model). Il met l’accent sur les préoccupations des enseignants face au changement car le changement se produit grâce à l’évolution des préoccupations qu’éprouve chaque enseignant à maîtriser le changement. Le rôle de l’agent de changement consiste à diagnostiquer les niveaux de préoccupations et d’utilisation des enseignants face à l’innovation. Les préoccupations des enseignants et rôle de l’agent de changement sont primordiaux dans l’étude qui nous intéresse car ils permettent de mieux saisir les sources de résistance et les moyens à prendre pour y remédier. De plus, les modèles de questions proposées constituent des exemples pratiques qui permettent de mettre en lumière les perceptions des gens.
Le processus de changement constitue un phénomène multidisciplinaire et c’est à partir de cette conception que Savoie-Zajc (1993) en fait une analyse en précisant les unités de changement et les niveaux de changement. Elle insiste sur le fait que le système d’éducation est un des systèmes les plus résistants au changement et que les causes de ces résistances tombent dans trois catégories. La première touche la nature du système: la complexité du système et de ses objectifs paradoxaux et difficiles à saisir; la hiérarchie et la bureaucratie omniprésentes et le contexte où le personnel reçoit peu de stimulants externes pour innover et renouveler sa pratique. La deuxième catégorie de causes portant sur les résistances consiste dans le manque de sensibilisation des intervenants sur la notion même de changement. C’est pour cette raison que toute la dimension du processus de changement est laissée pour compte; « on ne se préoccupe pas de l’intégration de l’innovation dans un ensemble humain et l’on ne porte pas attention aux perceptions des premiers utilisateurs, les enseignants » (Savoie-Zajc, 1993 p.4). Enfin, la troisième catégorie de causes de résistances du système d’éducation repose sur la qualité des réseaux de communication le reliant aux autres systèmes qui aboutit à un fossé entre la théorie et la pratique. Ces causes de résistance permettent de saisir les raisons qui favorisent, chez les enseignants, l’adoption ou le rejet d’une innovation telle que l’intégration des TIC.
Le modèle de Fullan (2001) passe en revue les différents acteurs du changement: élèves, direction de l’école, personnel enseignant, parents et l’administration scolaire et simplifie le processus de changement en le présentant sous trois phases: l’initiation, l’implantation et l’institutionnalisation et en identifiant les facteurs affectant chaque phase. L’auteur décrit le rôle essentiel joué par le personnel enseignant en soulignant que les changements en éducation dépendent essentiellement de ce que l’enseignant fait et pense. Fullan souligne la question des conflits et de désaccords qu’il perçoit comme des ingrédients indispensables à la réalisation des changements car ils permettent la création des représentations individuelles. Cette étude permet de mieux comprendre le phénomène du changement en montrant l’importance des négociations et des compromis entre les personnes. Il met en évidence les variables contextuelles auxquelles il faut prêter attention lors de l’implantation d’un changement comme par exemple, la position d’autorité de la personne vivant le changement ou le subissant. Cette étude met en évidence les facteurs organisationnels qui contribuent au succès du changement dans une institution telle que celle d’une école secondaire et de voir jusqu’à quel point les conditions de réussite d’un projet d’intégration des TIC sont favorisés.
Colerette et Delisle (1982) présentent le modèle du champ de forces qui établit au départ que les situations sociales, loin d’être statiques sont au contraire dynamiques. Dans la perspective du changement, on situe d’abord la situation actuelle par rapport à une situation désirée et la situation actuelle devient la situation insatisfaisante qu’on cherche à changer en faveur de la situation désirée. On pourra ainsi qualifier les forces qui agissent sur la situation actuelle, de motrices ou de restrictives. La figure 1 illustre le modèle du champ de forces de Colerette et Delisle en tenant compte des forces motrices (facteurs favorables) et des forces restrictives (les barrières) identifiées dans la recension des écrits que nous avons présentée plus tôt.
Figure 1. Le modèle du champ de forces (Colerette et Delisle, 1982)
Il convient de se demander si les éléments identifiés comme forces restrictives ou forces motrices sont toujours à propos dans une école qui bénéficie d’une forte subvention pour l’achat de matériel, pour la formation et pour fournir le soutien technique pour intégrer les TIC.
Selon Depover et Strebelle (1996) et Isabelle (2002), l’intégration des technologies de l’information dans une école se traduit par un usage habituel et suffisamment régulier des TIC pour conduire à une modification bénéfique des pratiques scolaires conduisant à une amélioration des apprentissages des élèves. La situation actuelle est selon Colerette et Delisle (1982) ce qui constitue la situation insatisfaisante et la situation désirée dans la problématique qui nous intéresse fait référence à cet usage habituel et régulier des TIC et se résume aux objectifs de l’école dans ce domaine qui s’énoncent ainsi:
La question principale qui découle de la problématique énumérée plus haut se définit comme suit: Comment les enseignants vivent-ils le changement suite à l’intégration des TIC ? À ceci s’ajoutent des sous-questions telles celles-ci: Quels sont les problèmes rencontrés? À quoi attribue-t-on les difficultés? À quoi attribue-t-on les succès? Comment perçoivent-ils l’impact sur le rôle du personnel enseignant et sur celui de l’élève?
La méthodologie qui nous apparaît pertinente pour cette recherche s’inscrit dans une démarche qualitative car le but premier est de comprendre un phénomène social étudié dans son environnement naturel et les données colligées consistent en des mots plutôt que des chiffres; l’analyse est inductive; nous étudions dans le contexte naturel; nous nous intéressons aux émotions et aux significations des individus et enfin nous mettons l’accent sur le processus plutôt que sur le produit (Berg, 2001; Cresswell, 1998; Karsenti & Savoie-Zajc, 2000; Poisson, 1991). Notre étude est bien délimitée dans l’espace (une école secondaire bien précisée) et dans le temps (après trois mois de participation à un projet unique), c’est pourquoi nous choisissons la tradition de l’étude de cas. En effet, la méthode d’étude de cas s’avère appropriée pour les descriptions détaillées sur un cas unique qui permet de rendre compte du caractère évolutif et complexe du phénomène vécu (Cresswell, 1998; Mucchielli, 1996). De plus le recours à l’étude de cas est particulièrement approprié si on s’intéresse au comment et au pourquoi des phénomènes qui se produisent dans une situation particulière (Mucchielli 1996). L’étude de cas exige qu’on recueille des données en provenance de plusieurs sources afin d’en faire une analyse holistique (Cresswell, 1998) mais à partir d’un nombre limité de cas considérés comme significatifs (Poisson, 1991). Le but d’une telle investigation est d’analyser les phénomènes variés à l’intérieur du cas étudié dans le but de faciliter la compréhension d’une situation socialesoit dans le cas qui nous intéresse, le changement vécu par le personnel enseignant suite à l’intégration des NTIC.
Notre étude se situe dans une petite école secondaire de l’Ontario dont le personnel enseignant est très jeune (la moitié a moins de trente ans) et dont la clientèle (soit environ 450 élèves) provient d’un milieu rural.Au moment de l’étude, l’école était déjà engagée dans un bon nombre de projets visant à intégrer l’usage des TIC dans les activités pédagogiques de la classe. L’école s’est vue attribuer le titre d’école innovatrice par Industrie Canada, devenant ainsi une école de démonstration de l’utilisation des technologies en éducation. Au moment de l’étude, plusieurs enseignants publiaient leurs plans de cours sur le site Internet de l’école et certains affichaient les notes de cours destinées aux élèves. Plusieurs projets pédagogiques intégrant les TIC étaient publiés sur le site de l’école. L’administration y affichait les renseignements administratifs et les activités scolaires. En plus de l’utilisation de sondes électroniques dans les cours de sciences, de l’utilisation fréquente d’Internet par les élèves comme support à l’apprentissage, citons divers projets innovateurs en intégration des nouvelles technologies comme par exemple :
Enfin, plusieurs classes encouragent le travail d’équipe de même que l’intégration des matières en planifiant la conception et la publication de pages web par les élèves.
En se référant à la théorie de la diffusion de l’innovation de Rogers (1983), l’école se trouve à la phase de mouvement et l’étape appelée déverrouillage a eu lieu il y a quelques années comme en fait foi les nombreux projets d’intégration des TIC vécus au sein de l’école. Plusieurs individus avaient donc déjà amorcé le changement. C’est dans ce contexte que l’école a été sélectionnée à l’automne 2000 pour participer à un projet de recherche internationale sur l’impact de la technologie en éducation. La subvention de 700 000 $ octroyée devait permettre d’acheter de nouveaux outils informatiques et de défrayer la formation requise. C’est dans le cadre de ce projet que se situe la présente recherche soit trois mois après l’obtention de la subvention.
Afin de pouvoir obtenir des informations venant de sources variées, 6 membres du personnel enseignant ont été sélectionnés par le coordonnateur du projet (enseignant de l’école libéré pendant la durée du projet) de façon à représenter une variété des points de vue et d’expériences avec les TIC en plus de couvrir plusieurs matières enseignées et différents niveaux scolaires. Deux membres du personnel administratif ont également participé à la recherche: la directrice et la secrétaire. Le choix de celles-ci se justifie par la nécessité de jeter un regard sur les changements des relations engendrés avec le personnel enseignant, avec les élèves et avec la communauté en plus de la possibilité d’obtenir des perceptions sur l’expérience vécue à partir d’un point de vue administratif. Le tableau 1 présente les huit sujets ainsi que la justification du choix de ceux-ci.
Tableau 1. Description des sujets et justification de leur choix.
La collecte de données a été effectuée à partir de témoignages des individus (source première de données) obtenus par des entrevues semi structurées, par les journaux de bord, par une rencontre de groupe (focus group) et par l’analyse de documents pertinents. Tous les participantes et les participants devaient tenir un journal de bord où ils écrivaient les événements marquants, les expériences tentées, les succès, les problèmes rencontrés ainsi que les sentiments générés tout au fil des jours. Un guide d’entrevue à partir de questions ouvertes et fermées a été élaboré par le chercheur pour guider l’intervention lors de l’entrevue semi structurée et de la rencontre de groupe. Il comportait des questions qui visaient à voir l’implication des personnes dans le projet telles que « Quel est votre rôle dans ce projet? », la perception des changements vécus: « Qu’est-ce qui a changé d’après vous? »; « Comment décririez-vous l’impact de ce projet sur l’ensemble de l’école »; « De quelle façon vos activités en salle de classe sont-elles modifiées par ce projet? » ou portant sur les sentiments générés « Quel sentiment cette expérience suscite-t-elle de votre part? ». Des sous questions de clarification ont aidé les personnes à expliquer leur point de vue.
La chercheure, assistante de recherche et agissant sous la responsabilité d’un professeur universitaire, n’est pas connue à cette école mais connaît bien le monde de l’enseignement puisqu’au moment de l’étude, elle oeuvrait à titre de direction adjointe dans une école d’un autre conseil. Une première rencontre a eu lieu réunissant la direction de l’école, le coordonnateur du projet, la chercheure et le professeur universitaire, responsable de la recherche pour expliquer clairement le but de la recherche. Le coordonnateur du projet s’est chargé d’effectuer les contacts nécessaires auprès des participantes et des participants et d’organiser l’horaire des rencontres. Les entrevues se sont déroulées sur les lieux de travail un mois plus tard et ont duré environ une heure chacune. Elles ont été effectuées sur une base individuelle. Avant chaque entrevue, la chercheure s’est présentée comme une personne qui désire effectuer une recherche et qui a besoin de leur vécu, de leurs impressions et de leurs témoignages. Ainsi, encouragés à parler, à préciser leur pensée, à élaborer sur le sujet, ils ont été amenés à définir la réalité telle qu’ils la percevaient et à établir les liens entre les événements qu’ils ont vécus.Chaque entrevue a été enregistrée sur cassette audio puis transcrite fidèlement. Les transcriptions de données ont ensuite été découpées en unités de sens et classées selon la typologie de MACCIA, E.S. (1966) tel que cité dans Legendre (1993): théorie formelle, praxique, axiologique et explicative. Enfin, à l’aide du logiciel File Maker Pro, ces unités ont été codées et insérées sur fiches puis regroupées par éléments significatifs et analysées de façon à permettre l’émergence de catégories.
La fiabilité de la recherche est assurée en demandant à deux autres chercheurs de servir d’experts, de regarder ce qui est fait et de vérifier si les procédures ont été bien suivies attestant que les résultats obtenus concordent avec les données recueillies. De plus, les trois techniques utilisées soit l’entrevue individuelle, l’entrevue de groupe (focus group) et le journal de bord permettent la triangulation méthodologique des données. Enfin, des informateurs différents: enseignants de niveaux différents, direction d’école et secrétaire ont permis d’obtenir le portrait de plusieurs réalités.
L’analyse s’est faite à partir de la méthode d’étude de cas c’est à dire qu’elle comprend une description détaillée du cas étudié (Cresswell, 1998) puis, les données sont regroupées en catégories permettant de faire émerger des éléments de signification de l’expérience des gens face au changement engendré par les NTIC. Il s’agit de lire l’ensemble du matériel et de marquer d’un signe (code) les passages pertinents à chaque question, donc repérer les informations significatives. Il faut ensuite classer (décontextualisation) puis ordonner l’information pour la condenser et la comparer (Van Der Maren, 1999). Selon la méthode d’étude de cas, les critères d’inclusion ou d’exclusion sont déterminés précisément à partir de la question principale. Ces critères peuvent changer au fur et à mesure qu’avancent nos connaissances dans la recherche. Le logiciel File Maker Pro a été utilisé pour classifier les différents éléments et faire les regroupements de concepts.
Une amélioration du point de vue esthétique des travaux des élèves, un changement méthodologique et la dimension motivationnelle constituent des éléments soulevés comme des avantages rattachés à l’utilisation des TIC. Le personnel enseignant considère l’Internet comme une véritable ressource pédagogique car ce moyen permet de faire des recherches sur des sujets très précis; d’entrer en contact avec d’autres classes et d’enrichir le contenu de cours. L’informatique permet d’être plus productif par la facilité à monter certains cours et d’en faire la mise à jour. Dans le cas où l’enseignante demande aux élèves avant la leçon d’aller chercher les notes de cours sur Internet, elle admet qu’elle a augmenté le temps passé à enseigner au lieu de faire prendre des notes, ce qui lui permet de se centrer davantage sur le contenu lorsqu’elle enseigne. Les TIC présentent donc certains avantages relatifs ainsi que des conséquences observables dont parle E.M. Rogers (1983).
Pour le personnel enseignant, la personne à la direction est cruciale pour le succès du projet et l’importance qu’il accorde à cet élément se reflète dans les propos de la moitié des participants. Bien plus que la technologie comme telle, le fait qu’elle communique régulièrement et qu’elle tienne compte de leurs recommandations et de leurs préoccupations les affectent beaucoup. Non seulement son approche humaniste mais également son ouverture d’esprit sont des aspects que le personnel enseignant considère comme des facteurs importants de succès. La directrice de l’école de son côté, accorde une importance très marquée au leadership car, de tous les propos recueillis à ce sujet, 75% proviennent de celle-ci. Elle se fait un point d’honneur de servir de modèle en démontrant son intérêt pour la technologie et en l’utilisant. De plus, elle s’assure que tous les membres du personnel enseignant se sentent bien avec le projet vécu et démontre sa préoccupation d’un climat de travail confiant et serein.
Ce n’est pas parce qu’il y a un projet comme cela (...) que tout le monde doit aller à la même vitesse (...) c’est bien important de respecter cela. On s’assure que tout le monde a son mot à dire. Si on veut que ça fonctionne, il faut que tout le monde se sente impliqué. Son style de leadership détermine beaucoup plus les relations que la technologie qu’on utilise.
De tels propos rejoignent les analyses de Fullan (1991) qui indiquent que le support actif et explicite de la direction d’école constitue un des facteurs primordiaux de la réussite d’une implantation de changement.
Si on regarde l’appui nécessaire au personnel enseignant, trois éléments principaux ressortent suite aux propos recueillis: le soutien technique, le besoin de formation et le nombre d’outils informatiques en quantité suffisante. Le soutien actif constitue un facteur appréciable car tous les participants, sans exception, ont relevé cet élément qu’ils considèrent comme crucial au succès de l’intégration des technologies. Les enseignantes et les enseignants ont beaucoup apprécié avoir le soutien d’un technicien sur place et voient l’appui technique comme une condition incontournable au succès d’un tel projet. La formation est non seulement nécessaire pour habiliter le personnel aux technologies mais elle permet de connaître les outils qui existent. Cette formation est souvent offerte sur place par le technicien qui n’hésite pas à dépanner un collègue qui éprouve des difficultés avec l’emploi d’un logiciel ou une configuration non appropriée.
Non seulement les nouveaux programmes du Ministère de l’éducation incitent à l’utilisation des TIC mais la communauté s’attend également à ce que les élèves utilisent l’informatique dans le quotidien puisque la majorité des emplois nécessitent de telles compétences. Le fait que les élèves manipulent déjà des outils informatiques ou sont au courant de certains logiciels influence également leur utilisation en salle de classe.
Les élèves, l’informatique, ils sont venus au monde là-dedans... Ils sont nés avec une souris à la main. N’importe quel emploi maintenant, ça demande d’utiliser un ordinateur. Faut pas en avoir peur... (...) Reste quand même que maintenant, tout se fait par courriel. Donc, les élèves, c’est leur donner un outil. Cette génération d’apprenants veulent cela... savent que ça existe. Ils sont très peu tolérants.
La pression sociale provient non seulement de la communauté mais également du milieu interne de l’école: «Les profs en savent à peu près tous plus que moi ici. Les élèves en savent plus que moi».
Si on se réfère au modèle du champ de forces de Colerette et Delisle (1982), une force est tout élément qui agit sur une situation donnée en autant qu’il exerce une influence sur la situation. Dans le cas qui nous intéresse, on pourrait qualifier les éléments précédents de forces motrices car elles agissent de façon à rapprocher la situation actuelle de la situation désirée. La figure 2 illustre les différentes forces motrices identifiées.
Figure 2. Forces motrices favorisant l’intégration des TIC.
Même si les propos recueillis vantent généralement les mérites des TIC, ils laissent également entrevoir certaines difficultés et certaines préoccupations.
Le manque d’ordinateurs pour appuyer une pédagogie où chaque élève travaille à l’écran est une remarque fréquente. Le personnel enseignant déplore que les laboratoires d’ordinateurs ne soient pas plus disponibles. En favorisant l’utilisation des TIC, on en arrive à créer de nouveaux besoins: par exemple, les projecteurs multimédias sont sur utilisés, il en faudrait beaucoup plus pour répondre aux besoins. Même phénomène du côté de l’utilisation personnel de l’ordinateur par le personnel enseignant: «Avant le projet (...) traditionnellement, ce qui était envoyé aux enseignants, c’était ce qui ne marchait pas bien en salle de classe. Ça c’était bien frustrant... Quand ça “crash”, quand t’attends, t’attends... Ça, ça décroche le monde et ça les décourage». Il faut par contre noter qu’avec le budget de la subvention, une des priorités de la direction a été d’équiper la salle du personnel avec des ordinateurs performants ce dont plusieurs ont apprécié.
Plusieurs enseignants ont mentionné leur irritation face à des problèmes techniques. Les difficultés sont frustrantes que ce soit Internet qui ne fonctionne pas à certains moments ou bien que certains sites aient été bloqués par le Conseil. Les problèmes techniques peuvent devenir exaspérants et consommateurs de temps précieux:
On doit imprimer des plans sur du papier de 24 pouces (et ça ne fonctionne pas). J’ai travaillé làdessus presque une journée pour ne pas trouver la solution. Finalement, j’ai pu contacter quelqu’un qui était technicien (...) Mais j’ai quand même pris une journée! C’est du temps ça!.
Enfin, il devient également agaçant que l’outil prévu pour le cours ne soit pas utilisable car la personne qui s’en est servi avant n’a pas fait le nécessaire pour le faire réparer ou quelqu’un est venu l’emprunter. Ces difficultés entravent la planification quotidienne des enseignantes et des enseignants qu’ils doivent réviser sur le champ. La logistique devient primordiale: «Ça devient un travail d’organisation, de planification».
Tant la direction de l’école que le personnel enseignant reconnaissent que tout se fait de façon précipitée. En effet, l’achat de matériel informatique, la construction d’une section de l’école, la formation, la promotion du projet sont des tâches qui s’ajoutent à celles déjà très lourde de direction d’école. Le personnel enseignant abonde en ce sens et reconnaît la nécessité d’investir du temps personnel afin de faire des recherches sur Internet, de consulter des documents en ligne et d’apprendre les logiciels:
Mais je peux vous dire que dans le moment, c’est très dur sur les dirigeants parce que moi je ne dors pas toujours bien. Si on veut être très honnête, parce que ça c’est beaucoup en très peu de temps (...) Parce qu’il y a de la construction à l’école... Quelqu’un qui entre dans l’école, je fais le tour avec eux autres (...) Il y a les commandes, alors c’est deux à trois jours par semaine. Il ne faut pas se le cacher. C’est dur! C’est pas évident!
Il faut du temps pour se renseigner, pour acheter les bonnes qualités (d’outils), pour aller chercher la bonne formation, pour identifier des partenaires.
Je dirais que l’endroit où l’on a la plus grosse contrainte (...) C’est le temps... De tout faire.
La ressource qui nous manque le plus, c’est le temps. Du temps pour vraiment étudier et bien faire les choses.
La plupart des soirs, je mets une heure facilement. Il n’est pas question de passer la fin de semaine sans travailler làdedans.
L’utilisation de moyen de communication comme le courriel fait naître des craintes au niveau des relations humaines tant en ce qui concerne les relations entre les élèves, celles du personnel enseignant avec l’élève ou celles des membres du personnel entre eux. Un enseignant s’est dit particulièrement troublé par l’importance qu’on accorde aux communications par courriel s’inquiétant du fait que les élèves ne développent pas de véritables relations humaines avec les autres élèves ou avec l’enseignante ou l’enseignant:
Parce qu’on peut partir fou làdedans et puis ne plus parler à nos élèves, toujours communiquer par Internet, courriel, oublier qu’ils sont des enfants, des ados, qui vivent d’autres choses que l’éducation. Les enseignants (...) vont être appelés à travailler de façon individuelle parce que je les vois à l’ordinateur, je les vois entrer leurs notes, rentrer leur programme. Je les vois avec leur gestionnaire de classe, faire leurs plans de classe... Alors, ça devient un travail beaucoup plus à la station.
C’est qu’avant ça, si tu prépares ton cours, ton plan de cours, tu es assis autour de la table... tu vas échanger. Tandis que là, tout le monde se trouve une station d’ordinateur, va taper son résumé de plan de cours, va aller faire son plan de classe (...). Effectivement, il faut trouver des façons de faire travailler nos gens en équipe.
Une autre crainte soulevée par un enseignant est le danger de trop s’attarder à un travail propre et bien illustré au détriment du contenu comme tel. Le manque d’analyse critique des élèves l’inquiète beaucoup:
Les élèves me donnent l’impression d’être hyperbons au niveau de la présentation mais au niveau du contenu, il n’y a pas de substance (...) Moi, ce qui m’intéresse c’est l’esprit de synthèse, c’est l’esprit analytique. C’est de voir si on est capable de faire des liens. Et j’ai l’impression que la technologie les étourdie en ce moment (...) Il faut les habiliter davantage à réfléchir et à faire le tri dans ce « pourriel » dans la masse d’informations qu’ils reçoivent. Les élèves sont capables d’aller me chercher une bibliographie de vingt pages mais ils ne sont pas capables de me faire un texte qui se tient de deux pages.
Il faut selon lui dépasser le travail fait sur ordinateur, les amener à verbaliser, à discuter d’un travail et avant tout à devenir penseurs.
La figure 3 illustre les principales forces que nous pouvons qualifier de restrictives en ce sens qu’elles agissent de façon à empêcher la situation actuelle de se rapprocher de la situation désirée (l’intégration des TIC) et qui probablement tendent à la rapprocher d’une autre situation non désirée (Colerette et Delisle, 1982).
Figure 3. Forces restrictives freinant l’intégration des TIC
Les thèmes qui émergent laissent entrevoir certains facteurs motivationnels chez les enseignants face aux objectifs du projet technologique ainsi que des éléments qui restreignent l’utilisation des TIC. Selon la théorie sur le changement planifié, les forces motrices sont des forces qui agissent de façon à rapprocher la situation actuelle de la situation désirée et les forces restrictives sont celles qui empêchent la situation actuelle de se rapprocher de la situation désirée (Collerette et Delisle, 1982). Dans le contexte qui nous préoccupe, quatre principaux types de forces motrices sont identifiées: celles qui proviennent des avantages perçues par le personnel enseignant, celles qui sont liées aux pressions sociales, celles qui sont rattachées au leadership exercé et celles découlant de l’appui provenant de l’organisation. Les contraintes technologiques, les craintes du personnel enseignant et principalement le manque de temps sont les forces restrictives énoncées. Selon la théorie du changement planifié (Collerette & Delisle, 1982), une action sur les forces restrictives favorise le changement souhaité. Le tableau 2 précise quelques moyens qui pourraient être mis de l’avant.
Tableau 2. Forces restrictives et moyens à explorer.
Le changement dont il est question et l’adoption de nouvelles pratiques sont davantage le reflet d’expériences de projets antérieurs car le projet actuel est encore trop jeune (seulement trois mois après l’octroi de subvention). Toutefois, cette étude par l’entremise des commentaires recueillis permet d’entrevoir les nouveaux rôles joués tant par le personnel enseignant, les personnes à la direction que les élèves.
Le personnel enseignant affirme devoir passer plus de temps à l’ordinateur comme administrateur (mettre les notes de cours à jour, faire les bulletins informatisés, communiquer par courriel avec l’administration ou les parents) ou par besoins professionnels (préparation de cours, recherche sur l’Internet pour mettre à jour ses connaissances, recherche de sites éducatifs). Du côté pédagogique, les TIC bouleversent les pratiques en ce sens qu’il faut s’arrêter à des questions fondamentales qui touchent le changement dans le rôle du personnel enseignant. Le personnel enseignant affirme qu’il doit amener l’élève à utiliser l’ordinateur d’une façon qui dépasse la simple manipulation.
Autant que l’informatique s’impose, que les nouvelles technologies s’imposent, autant moi, je sens le besoin -pour que les élèves apprennent à bien exploiter cet instrument-là- à favoriser et à développer chez eux l’esprit analytique. Et ça semble, pour le moment en tous les cas, contradictoire avec le fait de s’asseoir devant un ordinateur et de s’amuser ou de le manipuler (...).
Les propos recueillis font état de préoccupations pédagogiques qui se regroupent sous cinq grandes composantes:
Les compétences intellectuelles:
La dimension sociale:
La recherche:
L’évaluation:
L’interaction du personnel enseignant avec les élèves:
En fait, la perception du personnel enseignant est claire: il doit adapter l’enseignement aux exigences des TIC et en même temps demeurer critique face à ceux-ci: «Bref, c’est nous qui menons la machine et non la machine qui nous mène. Et je pense que ceci est un défi énorme pour les enseignants». Ce n’est pas tant les TIC qui sont remis en cause mais plutôt le rôle qu’on leur demande de jouer dans la dynamique de la classe.
Plusieurs particularités du paradigme d’apprentissage mentionnées par Tardif (1998) ressortent de l’analyse des données. En effet, le contexte d’enseignement favorise les relations d’entraide et d’interactions. L’élève détient un rôle actif dans son apprentissage, devient un collaborateur avec l’enseignante ou l’enseignant et est parfois un expert. Il est question de tâches et de projets qui découlent de situations signifiantes pour l’élève. Le personnel enseignant démontre une importance à la transformation d’information (réfléchir, analyser, synthétiser) et à la transférabilité (appliquer, produire). Le changement pédagogique engendré par l’intégration des technologies de l’information et de la communication est bel et bien amorcé et s’oriente vers le paradigme d’apprentissage selon le modèle de Tardif (1998) plutôt que vers le paradigme d’enseignement.
Dans cette recherche, la question principale portait sur le changement vécu par les enseignants suite à l’intégration des technologies en éducation. À la lumière des résultats, il ressort que plusieurs facteurs influencent positivement le changement tels que les avantages perçus par le personnel enseignant, un leadership qui supporte le changement, le soutien actif ainsi que les pressions sociales. Malgré plusieurs éléments positifs, une certaine résistance demeure visible sous forme de forces restrictives. Le manque d’outils informatiques, les problèmes techniques et de logistique, le manque de temps et les craintes du personnel enseignant constituent des difficultés identifiées lors des entrevues.
Des changements profonds sont en train de s’opérer dans des dimensions reliées intimement à la pédagogie. Le rôle du personnel enseignant et celui de l’élève sont en pleine mutation s’orientant de plus en plus vers le paradigme d’apprentissage de Tardif (1998). La remise en question de certaines pratiques traditionnelles et l’orientation vers des activités signifiantes pour l’élève sont bien réelles. L’approche par projets qui exige un produit concret et incite à la résolution de problèmes tout en favorisant une approche axée sur la collaboration revient dans les propos. Les témoignages laissent apparaître un certain niveau d’aisance avec ces transformations.
L’informatique influence fortement la nature des relations entre les individus et le contexte d’enseignement. Les TIC stimulent les choix par la diversité du contenu sur un même sujet et permet l’organisation et la présentation de ce contenu de différentes manières. Il devient plus facile pour les élèves d’orienter leur choix de production en fonction de leurs intérêts, de leur façon d’apprendre et de leurs connaissances antérieures. Le personnel enseignant compte bien profiter de ces avantages. Cependant, la recherche d’information tout comme la maîtrise des outils informatiques deviennent problématiques. L’élève doit dépasser l’esthétique du travail et travailler sur le fond des idées. Il est en effet bien tentant de se laisser subjuguer par la propreté, par les illustrations et par les techniques visuelles qui distraient du message véritable. Certes le Web constitue une source inépuisable de ressources pédagogiques. Cependant, n’étant pas organisé, il devient une contrainte en terme de temps et d’énergie à dépenser pour créer des situations propices à l’apprentissage. Un des changements majeurs vient donc de l’engagement du personnel enseignant à s’actualiser face aux nouveaux outils disponibles et à comprendre son nouveau rôle et cet engagement se traduit en grande partie par l’investissement de temps.
L’utilisation des TIC dans l’enseignement ne se traduit pas sans perte. Aussi puissantes qu’elles soient, ces machines ont des limites. Il manquerait par exemple, la charge émotive comme celle que l’on ressent par la portée de la voix. Car l’essentiel de la communication n’est pas technique.
Enfin, il ne fait aucun doute que tout le personnel ne va pas au même rythme. L’école est partagée entre ceux qui vont de l’avant, qui ont une foi totale dans les TIC et qui en tirent un grand bénéfice. D’autres y adhèrent avec réserve, tout au plus par nécessité, se sentant obligés, tiraillés entre leurs propres convictions et les pressions sociales. Il est bien probable que cette réalité mixte se retrouve très souvent dans la plupart de nos écoles et fait partie du défi que doit relever les gestionnaires responsables de l’intégration des TIC.
Notre étude, rappelons-le, se situe seulement trois mois après l’octroi de subvention pour faciliter l’intégration des TIC. Il est beaucoup trop tôt pour mesurer les véritables incidences. Les transformations dont il est ici question sont davantage le reflet de projets antérieurs d’intégration des TIC. Une observation sur une période plus longue que trois mois permettrait de voir émerger plus d’éléments valables. Il va de soi que les conclusions ne peuvent être transférables dans une situation où, comme c’est hélas, très souvent le cas, l’école souffre d’un manque de soutien financier pour se mettre à jour dans le domaine technologique.Par contre, les conclusions tirées permettent de conscientiser sur certaines préoccupations, certains risques et certaines promesses engendrés par les TIC et peuvent éclairer les décisions futures pour faciliter le changement.
En définitive, sur le plan scientifique, cette recherche nous permet de voir comment le personnel enseignant vit le changement qui découle de l’intégration des TIC et apporte des indications sur les facteurs qui favorisent ce changement et sur ceux qui le freinent. Elle met également en lumière les transformations qui s’opèrent quant aux rôles du personnel enseignant et de l’élève. Dans le contexte scolaire actuel où les TIC prennent de plus en plus d’importance, de telles indications constituent une ressource dont les gestionnaires devraient tenir compte pour élaborer des moyens efficaces d’intégration.
Atkins, N. E. & E. Storey Vasu (2000). Measuring Knowledge of Technology Usage and Stages of Concern About Computing: A Study of Middle School Teachers. Journal of Technology and Teacher Education, 8(4), 279-302.
Berg, B. (2001). Qualitative research methods for the social sciences. Needham Heights, MA: Pearson.
Bibeau, R. (1996). Pourquoi informatiser l’école? [En ligne] 11 novembre 2001. Adresse URL: http://www.grics.qc.ca/cles_en_main/projet/resume.htm.
Bibeau, R. (2001). L’élève rapaillé. Dans M. Karzap, D. Jeffrey & G. Lemire (Dir.), Exploration d’Internet, recherches en éducation et rôles des professionnels de l’enseignement. (pp. 61-73). Québec: Les presses de l’Université Laval.
Breuleux, A, Gurtner, J.-L., Larose, F., Retschitzki, J. & Rhéaume, J. (J1997). L’intégration des TIC en éducation: enjeux, défis et perspectives. Cahiers de la recherche en éducation, 4(3), 329-330.
Carugati,F.& C. Tomasetto (2002). Le corps enseignant face aux technologies de l’information et de la commucation: un défi incontournable. Revue de sciences de l’éducation, 28(2), 305-324.
Collerette, P. et Delisle, G. (1982). Le changement planifié-Une approche pour intervenir dans les systèmes organisationnels. Montréal, QC: Éditions Agence d’Arc, Inc.
Commission royale sur l’éducation, (1994). Pour l’amour d’apprendre. [En ligne] 12 février 2002. Adresse URL: http://www.edu.gov.on.ca/fre/general/abcs/rcom/short/shortf.html.
Conseil des ministres de l’éducation, Canada (1998), Rapport sur l’éducation au Canada- Section Quoi de neuf en éducation/Ontario. [En ligne] 12 février 2002. Adresse URL: http://www.cmec.ca/reports/rec98/index.stm.
Cresswell, J. W. (1998). Qualitative inquiry and research design. Choosing among five traditions. Thousand Oaks : Sage Publications.
Cros, F. (1996). Définitions et fonctions de l’innovation pédagogique. Dans Bonami, M., & Garant, M.. (Dir.), Systèmes scolaires et pilotage de l’innovation (pp. 15-29). Belgique: De Boeck.
Depover, C. & Strebelle, A. (1996). Fondements d’un modèle d’intégration des activités liées aux nouvelles technologies de l’information dans les pratiques éducatives. Dans G.-L. Baron & É. Bruillard (Dir.), Informatique et éducation: regards cognitifs, pédagogiques et sociaux (pp. 9-20), France: INRP.
Desjardins,F., Bélair, L. & Boyer, J.-C. (2000). L’intégration de l’ordinateur en formation à l’enseignement primaire: un outil d’apprentissage dans un modèle de constructivisme guidé. Apprentissage et socialisation, 20 (2), 111-127.
Duarte, C. (2000). L’intégration d’Internet dans un CDI de collège rural. Dans G.-L. Baron, E. Bruillard & Lévy, J.-F. (Dir.), Les technologies dans la classe. De l’innovation à l’intégration. (pp. 53-68). Paris: EPI.
Finkelsztein, D. & Ducros, P.(1996). Conditions d’implantation et de diffusion d’une innovation scolaire. Dans Bonami, M., & Garant, M.. (Dir.), Systèmes scolaires et pilotage de l’innovation (pp. 31-56). Belgique: De Boeck.
Fullan, M. (2001). The New Meaning of Educational Change (3rd Ed). New York: Teachers College Press.
Garant, M. (1996). Modèle de gestion des établissements scolaires et innovation. Dans Bonami, M., & Garant, M.. (Dir.), Systèmes scolaires et pilotage de l’innovation (pp. 57-87). Belgique: De Boeck.
Hall, G., & Hord, S.M. (1987). Change in schools. Facilitating the Process. New York: SYNY.
Harrari, M., (2000). Le cas de l’enseignement élémentaire. Dans G.-L. Baron, E. Bruillard & Lévy, J.-F. (Dir.), Les technologies dans la classe. De l’innovation à l’intégration (pp. 15-36). Paris: EPI
Heide, A. & D. Henderson (1996). La classe multimédia , Montréal: Les Éditions de la Chenelière.
Huberman, A.M. (1983). Comment s’opèrent les changements en éducation: contribution à l’étude de l’innovation , Suisse: Presses centrales Lausanne S.A.
Isabelle, C. (2002). Regard critique et pédagogique sur les technologies de l’information et de la communication. Montréal: Chenelière/McGraw-Hill.
Isabelle, C., Lapointe C. & Chiasson M. (2002). Pour une intégration réussie des TIC à l’école : De la formation des directions à la formation des maîtres. Revue des sciences de l’éducation, 28 (2), 325-344
Laferrière, T. (1996). L’intégration des NTIC et ses exigences pédagogiques. [En ligne] 20 janvier 2001. Adresse URL: http://www.tact.fse.ulaval.ca/fr/html/saqcatic.html.
Laferrière, T. (1997). Rechercher l’équilibre au sein des environnements d’apprentissage intégrant les technologies de l’information: Préparer les futurs choix. Rapport préparé pour Le Conseil des ministres de l’Éducation (Canada). [En ligne] 20 janvier 2001. Adresse URL: http://www.cmec.ca/reports/infotechf.stm
Laferrière, T. (2001). Le déplacement de l’attention vers l’apprenante et l’apprenante: une utopie ou nouvelle réalité professionnelle? Dans M.Karzap, D. Jeffrey et G. Lemire (Dir.), Exploration d’Internet, recherches en éducation et rôles des professionnels de l’enseignement. (pp. 75-84). Québec: Les presses de l’Université Laval.
Larose, F., Lenoir, Y., Karsenti, T. & Grenon, V.(2002). Les facteurs sous-jascents au transfert de compétences informatiques construites par les futurs maîtres du primaire sur le plan de l’intervention éducative. Revue de sciences de l’éducation, 28 (2), 265-288.
Lawson, T. & Comber, C. (2000). Introducing information and communication technologies into schools: The blurring of boundaries. British Journal of Sociology of Education, 21(3), 419-433.
Legendre, R. (1993). Dictionnaire actuel de l’éducation, 2e édition. Montréal: Guérin.
Marton, P. (1998, août). Les nouvelles technologies de l’information et de la communication et leur avenir en éducation. Communication présentée au 51e congrès de l’ACELF, Abram-Village, Île-du-Prince-Édouard, Canada.
Ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario (1997). Communiqué: Le ministre annonce une affectation de 60 millions de dollars pour financer de nouvelles technologies pour les écoles de l’Ontario, Toronto -27 mars 1997, [En ligne] 2 décembre.2001. Adresse URL: http://www.edu.gov.on.ca/fre/document/nr/97.03/tipp2f.html.
Ministère des finances de l’Ontario (2001). Communiqué: Une toute nouvelle université au Canada répondra à la demande de programmes universitaires axés sur le marché- La province affectera 60 millions de dollars à la création de l’Institut de technologie de l’Ontario, Toronto- 4 octobre 2001, [En ligne] 3 décembre.2001. Adresse URL: http://www.gov.on.ca/FIN/french/nrfoit.htm
Mucchielli, A. (1996). Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales. Paris : Armand Colin.
Neil, J.O. (1995). On Technology and Schools: A Conversation with Chris Dede. Educational Leadership, 53(2), 6-13.
Papert, S. (1994). L’enfant et la machine à connaître. Repenser l’école à l’ère de l’ordinateur, Paris: Dunod.
Pelletier, G. (1996). Chefs d’établissement, innovation et formation: de la complexité aux savoirs d’action. Dans Bonami, M., & Garant, M.. (Dir.), Systèmes scolaires et pilotage de l’innovation (87-113). Belgique: De Boeck.
Poisson, Y. (1991). La recherche qualitative en éducation . Sillery, QC: PUQ.
Rogers, E. M. (1983). Diffusion of innovation. (3 rd Ed). New York: The Free Press.
Rogers, P. L. (2000). Barriers to Adopting Emerging Technologies in Education. Journal of Educational Computing Research, 22(4), 455-472.
Savoie-Zajc, L. (1993). Les modèles de changement planifié en éducation, Montréal, Canada: Les éditions logiques.
Sherry, L. (1998). An Integrated Technology Adoption and Diffusion Model. International Journal of Educational Telecommunications, 4(2/3), 113-145. [En ligne] 18 octobre 2002. Adresse URL: http://www.aace.org/dl/Search/view.cfm?id=9239.
Tardif, J. (1996). Une condition incontournable aux promesses des NTIC en apprentissage: une pédagogie rigoureuse. Communication présentée à la Conférence d’ouverture du 14e colloque de l’AQUOPS, Québec. [En ligne] 4 décembre 2001. Adresse URL: http://www.aquops.qc.ca.
Tardif, J. (1998). Intégrer les nouvelles technologies de l’information-Quel cadre pédagogique? Paris : ESF éditeur.
Toci, M.J., & Peck, K.L. (1998). A Systems Approach to Improving Technology Use in Education. Canadian Journal of Educational Communication, 27(1),19-30.
Van Der Maren, J.-M.(1999). La recherche appliquée en pédagogie. Bruxelles, Belgique: De Boeck & larcier.
© Canadian Journal of Learning and Technology