Aïcha Benimmas, Université de Moncton, Canada
Margarida Romero, Université Côte d’Azur, France
Le rapport des élèves à l’espace peut se développer par le biais de différentes activités d’apprentissage. Parmi ces activités, le projet SmartCityMaker engage les élèves dans une démarche de cocréation de leur quartier scolaire par le biais de la réalisation d’une maquette combinant les techniques analogiques et numériques. Dans le cadre de cette étude, les élèves d’une école primaire sont invités à explorer différentes facettes de leur territoire de proximité et, par la suite, à mobiliser leurs habiletés spatiales de manière pratique par la construction d’une maquette. L’étude cherche à comprendre la manière dont le projet SmartCityMaker permet d’enrichir le rapport des élèves à leur territoire scolaire, ainsi que leur pensée spatiale. Dans cette visée, nous analysons le processus d’apprentissage vécu par des élèves de 11 ans d’une école primaire en France qui participent au projet SmartCityMaker. Nous présentons la démarche d’apprentissage vécue par les élèves et les aspects pouvant permettre d’observer leur rapport à l’espace de même que la manifestation de leur pensée spatiale.
Mots clés : cocréation, maquette, pensée spatiale, SmartCityMaker, territoire
Students’ relationship with space can be developed through a variety of learning activities. Among these activities, the SmartCityMaker project engages students in the process of co-creating their school district through the creation of a model combining analog and digital techniques. This study invites elementary school students to explore different facets of their local area and then mobilize their spatial skills in a practical way through the construction of a model. The study seeks to understand how the SmartCityMaker project enhances students’ relationship with their school territory, while enriching their spatial thinking. We analyze the learning process experienced by 11-year-old students from a French elementary school participating in the SmartCityMaker project. This study presents the learning process experienced by the students and the aspects that enable us to observe their relationship with space, as well as the manifestation of their spatial thinking.
Keywords: co-creation, model, SmartCityMaker, spatial thinking, territory
L’espace est un concept complexe à appréhender par les élèves, à la fois constitué de lieux animés et interreliés par des relations (Mérenne-Schoumaker, 2002). Le rapport à l’espace est une expérience subjective (Appell, 2018) qui tient compte de la personne comme étant un être doté d’une cognition incarnée dans un corps ayant un rapport à l’espace physique qui l’entoure. Le rapport à l’espace est ainsi une relation dynamique dans laquelle le sujet et l’espace donnent lieu à une expérience personnelle unique, constituée à la fois d’aspects géographiques factuels que d’aspects socioaffectifs (Laffont & Martouzet, 2018). À un niveau sociétal, le rapport à l’espace peut se comprendre sous la perspective du rapport des citoyens d’une communauté donnée au territoire, comme communauté sociale qui comporte une charge affective, socioculturelle, voire légale (Mérenne-Schoumaker, 2002). Ce rapport peut se développer sous des approches très différentes. Dans une visée d’engagement créatif, nous pouvons envisager un rapport actif au territoire, dans lequel le citoyen ne se contente pas de s’y déplacer pour ses activités personnelles, professionnelles ou académiques, mais plutôt se considère comme un acteur de changement dans cet espace. Ainsi, le développement d’une approche créative sur son territoire est une forme d’agentivité par laquelle le citoyen appréhende l’espace et s’engage dans sa transformation de manière participative (Barthes & Lange, 2018; Romero et al., 2017). Ceci s’aligne avec le contenu du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, établi par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (2015) de la France et considéré comme incontournable pour la scolarité obligatoire de l’élève de six à seize ans. Parmi ces connaissances, l’élève doit apprendre, entre autres, la langue française, les langages mathématiques et informatiques, la conduite de projets collectifs, l’action citoyenne, la résolution de problèmes et la compréhension des sociétés dans le temps et dans l’espace. Dans ce sens, Thémines (2011) affirme que « l’importance donnée au territoire se comprend en regard des finalités actuelles de la géographie scolaire. Il est attendu qu’elle prépare les élèves à l’exercice de leur responsabilité vis-à-vis d’espaces qui s’échelonnent et s’articulent du local au mondial » (p. 77). Ainsi, la présente étude porte sur l’agir de l’élève sur son territoire scolaire grâce à un projet de développement durable intégrant la création d’une maquette et la programmation robotique pour la gestion automatisée des déchets. Ce type de projet exigeant un processus systémique, collaboratif et ayant une perspective opérationnelle axée sur le devenir d’un territoire se situe dans une perspective géoprospective (Emellem et al., 2012; Garbolino & Voiron-Canicio, 2020). Notre étude a pour objectifs, dans un premier temps, d’analyser le rapport des élèves au territoire scolaire à partir des habiletés spatiales mobilisées tout au long du processus de sa représentation sous forme de maquette. En deuxième temps, il est question d’analyser les retours métacognitifs exprimés par les élèves durant la démarche cocréative dans laquelle ils ont été engagés.
Moore (2019) a déjà proposé un modèle sociospatial pour décrire le développement de la relation de l’enfant à son territoire. Il distingue entre trois types d’espace selon leur accessibilité à l’enfant. L’espace habituel de l’enfant se résume souvent à son école, sa maison et ses environs proches. L’espace fréquenté, cependant, est souvent accessible grâce à la compagnie des parents ou d’autres enfants pendant les fins de semaine. L’espace occasionnel, quant à lui, est souvent exploré lors de voyages et de sorties spéciales qui peuvent être organisées par l’école ou la famille. Ce rapport que l’enfant entame avec son territoire à travers ces trois types d’espace lui permet de se situer et de développer un sentiment d’appartenance, condition incontournable pour le futur citoyen qu’il serait (Mérenne-Schoumaker, 2019). La même auteure considère ce rapport crucial étant donné qu’il aide l’enfant à comprendre l’organisation du territoire et les interactions qu’il peut tisser avec son environnement. Ainsi, l’apprentissage de l’espace s’avère important pour le développement personnel et social de l’élève.
La pensée spatiale est définie comme la connaissance conceptuelle, l’habileté à utiliser l’espace, grâce à différents outils de sa représentation et les processus du raisonnement permettant la résolution de problèmes et la prise de décision (Joe et al., 2010; National Research Council, 2006). Cependant, il convient de préciser que l’apprentissage à caractère spatial n’est pas lié exclusivement à la géographie, mais plutôt partagé avec plusieurs disciplines qui contribuent à son développement. La nature épistémologique de la géographie lui permet de créer facilement des liens interdisciplinaires avec d’autres domaines de connaissance. Dans ce sens, Mérenne-Schoumaker (2019) a bien précisé que les échanges de la géographie avec d’autres disciplines ne se limitent pas uniquement aux sciences humaines, car elle établit des liens qui peuvent être étroits avec les sciences, les mathématiques, le français de même que les arts. En effet, les habiletés spatiales sont étroitement liées aux mathématiques à travers la visualisation et la capacité d’imaginer des objets en 2D et 3D (Mix & Cheng, 2012). Ceci est confirmé par Thémines (2011) qui indique que l’exploration des rapports au territoire se fait souvent dans une démarche interdisciplinaire. En effet, plusieurs chercheurs soulignent que la pensée spatiale est fondamentale à l’apprentissage et à la cognition (Hawes et al., 2017; Kell et al., 2013). Selon ces auteurs, la recherche démontre un lien étroit entre la pensée spatiale et la performance à travers les disciplines scolaires constituant le curriculum. Dans le même sens, Newcombe et Shipley (2015) soulignent que :
Les informations spatiales concernent les formes, les emplacements, les chemins et les relations entre les entités et les référentiels. Ces informations sont représentées dans la cognition humaine et peuvent être transformées mentalement pour aider à manipuler, à construire et à naviguer dans le monde physique, ainsi que pour réussir dans les efforts académiques et intellectuels. (p. 2, traduction libre)
Ces mêmes auteurs insistent sur les caractéristiques intrinsèques de chaque objet spatial telles que sa localisation, son orientation, sa taille et son rapport aux autres entités en fonction de ces mêmes traits. Ils considèrent la transformation mentale d’objets observés sur un plan de 2D en forme de 3D comme une configuration complexe qui fait appel à la visualisation. Cette dernière est définie comme une opération cognitive qui se manifeste dans (dessin, carte, maquette, autre) (Peterson, 1987). Selon cet auteur, on fait appel à la visualisation pour raisonner, contrôler des objets, transformer des images, s’orienter dans l’espace, comprendre les descriptions verbales et créer de nouveaux modèles. C’est ainsi que St-Jean et al. (2022) considèrent la visualisation comme une composante clé du raisonnement spatial. Au-delà de ces aspects, Taylor et Hutton (2013) indiquent que les enfants démontrent plaisir et motivation dans les leçons qui s’articulent autour de l’espace.
L’apprentissage de l’espace aide l’enfant à comprendre les relations qui se tissent autour de lui, qu’elles soient statiques ou dynamiques. Dans ce sens, Liben et Downs (2003) définissent deux types de liens que les élèves peuvent établir entre l’espace réel en 3D et la carte géographique statique basée sur en 2D. Il s’agit des correspondances relationnelles qui évoquent la théorie de la sémiotique De Saussure (1986). Ces relations se manifestent dans le lien entre l’information observée réellement dans l’espace appelé référent et le symbole par lequel elle est représentée sur la carte nommé signifié (qui peut être une notion d’une idée ou un concept auquel le support du signe réfère) et les correspondances géométriques et graphiques qui déterminent le lien entre les caractéristiques spatiales du référent appelé signifiant (la carte). Notons bien que le signifié implique un acte d’interprétation par le lecteur (MacEachren, 1995). Ainsi, le passage du plan 2D au plan 3D et vice versa semble une habileté mentale importante de la pensée spatiale. Cette pensée « étant profondément enracinée dans les activités quotidiennes, il est difficile de démêler et apprécier son rôle » (National Research Council, 2006, p. 50, traduction libre). Il s’agit d’un acte constant et omniprésent auquel tous les individus participent tantôt spontanément et tantôt délibérément (Bednarz et al., 2013). Cette affirmation se manifeste selon ces auteurs dans trois contextes : la géographie de nos espaces de vie, les espaces physiques et sociaux et les espaces intellectuels. Ces activités sont reliées à l’expérience de vie spatiale dans laquelle l’enfant fait appel à son sens d’orientation, de distance, de région et de séquence. Or, Romero et Chiardola (2019) soulignent que les enfants, particulièrement ceux habitant l’espace urbain, semblent être limités dans leur rapport au territoire dû autant au contrôle exercé par les parents qu’à la régulation que leur impose l’organisation des villes.
Sur ce, il importe d’exploiter les espaces scolaires, en tant que territoires de vie, étant donné l’effet important qu’ils ont sur l’efficacité des apprentissages acquis et les comportements développés par les apprenants (Mazalto & Paltrinieri, 2013). C’est ainsi que Boix-Tomàs et al. (2015) trouvent importante la relation qui se tisse entre l’éducation et le territoire dans lequel elle se pratique. Dans cette perspective Hardouin (2020) et Taddei (2018) affirment que l’école idéale est celle qui est réellement ancrée dans son environnement sociospatial proche grâce à la coconstruction des projets qui se fondent sur une « intelligence collective ». Cela dit, pour permettre à l’enfant d’établir un rapport plus actif à son territoire proche, il importe que l’école propose des approches pédagogiques développant la cocréation et l’écocitoyenneté. En effet, la pédagogie, ancrée dans le milieu par exemple, permet à l’élève d’établir un lien d’appartenance étroit à son territoire de proximité tout en donnant un sens à ses apprentissages. De plus, construire pour apprendre introduit à une approche enactive et créative de l’apprentissage (Leroy-Viémon, 2008) qui se concrétise dans la création collaborative. L’approche enactive en éducation, inspirée par les travaux de Varela (1997), se concentre sur l’interaction dynamique centre l’apprenant et son environnement. Elle repose sur l’idée que la cognition émerge de l’action et de l’expérience directe, plutôt que d’une simple réception passive de l’information. Ainsi, la présente étude s’inscrit dans le cadre de projets interdisciplinaires SmartCityMaker. L’élève est invité à s’engager dans un processus de coconstruction d’une maquette représentant son territoire scolaire et à programmer le circuit d’un robot dans une opération du ramassage des déchets à recycler tout en réfléchissant à des problèmes et des solutions (Wing, 2010). Ledit projet interpelle des habiletés spatiales en géographie, en mathématiques tout en mobilisant les habiletés de communication orale et écrite en français et en utilisant la programmation. L’approche pédagogique, de type enactif, et collaboratif, est orientée sur le développement durable d’un territoire de proximité (quartier scolaire) comme objet d’apprentissage. Le questionnement posé à la suite de ce qui précède est : comment le projet SmartCityMaker articulé autour de la création d’une maquette permet-il d’expliciter le rapport que des élèves de 11 ans ont avec leur territoire scolaire?
L’approche méthodologique de la présente étude est de type recherche-action participative dont les acteurs non seulement participent et contribuent à toutes les étapes de l’étude, mais ils influencent le processus de la recherche en modifiant le déroulement de l’intervention didactique selon les observations directes effectuées au fur et à mesure que le projet avançait. Le recours à la recherche-action se justifie par sa réponse aux besoins sociaux réels puisqu’elle prend place dans le milieu et met à contribution toutes les personnes participantes (Tremblay & Bonnelli, 2007) en plus de créer le changement en vue d’une amélioration (Bradbury et al., 2019). Ainsi, les connaissances produites sont le résultat d’un va-et-vient entre l’action et la réflexion et s’appuient sur les savoirs expérientiels vécus (Racine & Legault, 2001). Dans le cadre de cette étude, l’équipe de recherche-action se compose de deux chercheures et de deux acteurs scolaires, en l’occurrence l’enseignante de la classe, le directeur de l’école, un étudiant en urbanisme, deux parents spécialistes en programmation en plus des élèves participants. La concertation entre les membres de ce collectif a permis le développement d’une confiance mutuelle facilitant le déroulement du projet.
La méthode d’analyse des données est de type mixte, conciliant entre un traitement quantitatif des scores obtenus par les élèves et l’analyse thématique interprétative (Paillé & Mucchielli, 2021) des différentes données collectées (vidéogrammes, questionnaire, feuille du cheminement métacognitif rédigé par les élèves, observation participative des activités, etc.).
Les participants à la recherche sont 22 élèves âgés de 11 ans de l’école Jean Marie Hyvert à Nice, en France. Cet établissement est une école d’application de l’Inspé de l’académie de Nice. Il s’agit d’une classe de CM2 (5e année primaire) composée de 13 garçons et 9 filles.
Les instruments de cueillette de données sont variés afin de collecter le maximum d’informations qui permettent d’analyser et documenter l’étude. En effet, un certain nombre de questions ont été posées aux élèves lors de la lecture du plan cadastre et au moment de la sortie d’observation directe du terrain. Un questionnaire et une feuille du cheminement métacognitif ont été confectionnés par les chercheures et validés par l’enseignante et la direction de l’école afin d’identifier les habiletés et les stratégies spatiales des élèves à la suite de la sortie de terrain. Le questionnaire cherche à décrire et à interpréter les habiletés spatiales que possèdent les élèves alors que la feuille du cheminement métacognitif invite l’élève à être conscientisé de ses apprentissages au fur et à mesure qu’il avance dans l’expérience. Un enregistrement vidéo a été effectué lors des ateliers sur la programmation du robot et pendant la Journée défi où les élèves expérimentent la programmation robotique en la présence de leurs parents. Les chercheures ont effectué l’observation participative lors des différents ateliers. Ainsi, elles ont tenu un journal de bord afin de noter leurs observations directes pendant les différentes étapes de l’étude.
L’intervention didactique est constituée de cinq étapes dont chacune comporte différents apprentissages. Il s’agit de la lecture du plan cadastre du quartier groupe scolaire (l’école, la garderie, l’Inspé et le terrain de jeux); d’une sortie de terrain pour une observation directe des composantes du territoire à l’étude; d’une deuxième sortie de terrain pour mesurer les hauteurs des bâtiments; une période du traçage des emprises sur la base de la maquette; la programmation du robot pour récupération des déchets triés, pratiquée par tous les participants, et la Journée défi ( Challenge Day) à laquelle tous les élèves ont participé en présence de leurs parents.
La lecture du plan cadastre de la carte du territoire scolaire a permis aux élèves de décoder les signes et symboles représentés sur la carte (Figure 1). Ainsi, ils avaient à orienter la carte afin de localiser les différentes entités selon les quatre directions cardinales et de mesurer les distances qui les séparent. La lecture d’un plan en 2D vise à les aider à comprendre la notion de l’échelle sur laquelle se base la réduction de l’espace réel à une représentation cartographique (symbolique). Ainsi, plusieurs mesures ont été faites afin de concevoir la représentation de ce même territoire sur une maquette à 3D. Entre la représentation abstraite en 2D et la création d’une représentation à 3D, les élèves avaient besoin d’explorer les lieux par l’observation directe effectuée grâce à une sortie de terrain.
Figure 1
Activité de lecture d’un plan cadastre du quartier groupe scolaire
En effet, la sortie de terrain a été organisée pour les élèves participants à l’étude sous l’encadrement de l’une des chercheures, de l’enseignante et du directeur de l’école. L’objectif est de permettre aux élèves d’observer leur territoire de proximité selon d’autres perspectives et angles, de définir des repères, de s’orienter dans l’espace, de situer les édifices les uns par rapport aux autres, d’observer les composantes du quartier (bâtiments, jardins, route, arbres, etc.) et leurs formes (ponctuelle, linéaire, surfacique) et de prendre des mesures de certaines entités. Tout au long de l’exploration du quartier, les élèves avaient à répondre à des questions qui portent essentiellement sur la localisation, l’orientation, la mesure et la perspective. De même, ils avaient la chance de poser des questions. Par collaboration en petits groupes, ils se réfèrent selon leur besoin au plan cadastre qu’ils avaient en main. Ce plan a été peinturé pour indiquer les noms des entités afin de faciliter aux élèves la formation d’une image mentale de leur quartier scolaire (Figure 2).
Après cette sortie, la classe a été divisée en trois grands groupes selon le choix de l’enseignante qui s’est basé sur les forces de chaque élève. Le premier groupe avait effectué un travail de terrain pour prendre les mesures des hauteurs des bâtiments composant l’espace étudié à l’aide d’un télémètre laser, souvent utilisé par les architectes et les paysagistes. Le deuxième groupe s’est occupé de mettre les emprises des entités de l’espace sur la base de la maquette. Ce groupe avait la tâche de tracer l’emprise de chaque bâtiment en respectant l’échelle adoptée avec l’ensemble de la classe. Ainsi, les distances entre les entités spatiales doivent être agrandies d’une manière proportionnelle à l’échelle de la maquette. Le troisième groupe, quant à lui, avait à finaliser la programmation des robots. Bien que chacun des trois groupes avait des tâches différentes, l’ensemble de la classe avait déjà été initié à la notion d’échelle, à la mesure des hauteurs et à la programmation. Une fois les tâches de chaque groupe accomplies, les élèves appartenant à chaque groupe avaient à partager leurs apprentissages avec leurs collègues lors de la confection des bâtiments en 3D et au moment d’expérimenter le circuit du robot.
Figure 2
La coloration des espaces verts et l’identification des entités à représenter
Il convient de noter que les différentes activités réalisées, évoquent un va-et-vient entre le territoire scolaire en tant qu’image mentale (visualisée) et la représentation de ce même territoire sur la carte d’un côté et la concrétisation du lien entre ces deux représentations sur la maquette fabriquée de l’autre côté. Les deux types de représentations, mentale et cartographique, s’enrichissent de l’observation directe pour permettre à l’élève de développer les habiletés spatiales avec lesquelles il fonctionne au quotidien dans sa vie personnelle et sociale. La création de la maquette permet aux élèves participants de faire différents apprentissages qui mettent en valeur leur pensée spatiale, et ce, en ayant recours à la géographie, aux mathématiques, à la technologie et à la littératie. À l’aide du programme EV3, l’élève doit effectuer la simulation collaborative de ramassage et de déchets triés.
Les réponses des élèves au questionnaire (Tableau 1) suivant l’activité de la sortie de terrain permettent de brosser un portrait quant aux habiletés spatiales des participants à l’étude. Il convient de rappeler que les six premières questions (1, 2, 3, 4, 5, et 6) cherchent à mesurer les habiletés de localisation relative et absolue, d’orientation et situation. Les scores obtenus montrent que 21 élèves sur 22 sont capables de situer leur école par rapport à l’édifice de l’Inspé et 19 élèves sur 22 localisent adéquatement l’entité qui se trouve le plus au nord (Q2). Cependant, quand il s’agit de la localisation selon les sous-directions cardinales (nord-est, nord-ouest, sud-est, sud-ouest), 21 élèves parmi les 22 n’ont pas pu situer correctement l’entité recherchée.
Tableau 1
Résultats du test sur les habiletés spatiales des participants
Habiletés spatiales | Questions | Réponses appropriées | Réponses à analyser | |
Localisation absolue/relative | Avant/Après | 1 | 21 | 1 |
Localisation absolue | 2 | 19 | 3 | |
À gauche/À droite | 3 | 20 | 2 | |
4 | 20 | 2 | ||
Orientation | Sous-directions cardinales | 5 | 1 | 21 |
Situation | Dessus/Dessous/Au même niveau | 6 | 18 | 4 |
Inclusion/exclusion | À l’extérieur/Dans/À côté de | 7 | 17 | 5 (excluent la cour) |
Mesure | Longueur approximative | 8 | - | 7 (confusion entre longueur et aire) 15 estimations (3 = 50 m, 12 < 50 m) |
Aire | Comparaison visuelle | 9 | 20 | 2 |
Stratégies spatiales adoptées pour répondre à la question 9 | 10 | Proportion, visualisation, pratique spatiale, appropriation territoriale |
Deux élèves semblent confondre entre la gauche et la droite et par conséquent ils ne peuvent pas situer correctement leur école par rapport au terrain de jeux (Q3 & Q4) qui se trouve en position presque parallèle à l’école. De même, 4 élèves sur 22 ne sont pas en mesure de situer le niveau du stade par rapport à celui de l’école (Q6). En somme, la majorité des élèves semblent posséder la perception projective de l’espace, mais ils manifestent visiblement une difficulté lorsqu’il s’agit de la pensée euclidienne impliquant les sous-directions cardinales.
Pour la question 7, qui mobilise les notions d’inclusion/exclusion, cinq élèves ne considèrent pas la cour de l’école comme un espace inclus à leur école. Cela nous invite à nous interroger sur la représentation mentale que ces élèves se font à propos de leur école. Est-ce que l’école pour ces élèves se limite aux salles de cours, à la cantine, au bureau de la direction, etc.? Est-ce que la cour de l’école est perçue comme un terrain de jeux exclu de l’école?
À la question 8 qui cherche à estimer la longueur approximative du stade, les élèves ont fourni des mesures allant de 15 à 300 mètres. Cette divergence invite à tenter d’interpréter la représentation qu’ils se font de la longueur réelle de cette entité de même que leur expérience de jeu et de fréquentation de cet espace. Il importe aussi de comprendre le sens que les élèves donnent au concept de longueur. En effet, sept élèves ont donné deux chiffres dont l’un présente la longueur et l’autre indique la largeur, parmi eux un seul élève a fourni l’aire exacte du stade soit 60 x 20 mètres. Ainsi, ces élèves font une estimation de l’aire du stade et non de sa longueur. Les autres élèves (15) ont fourni une estimation de la longueur dont trois la situent à 50 mètres tandis que 12 élèves suggèrent des mesures inférieures à 50 mètres. Ces réponses indiquent une confusion chez certains élèves (7/22) entre la notion de longueur et celle de l’aire et chez d’autres (12/22), une sous-estimation de la longueur de cette entité.
À la question 9, il est demandé aux élèves de comparer les aires des différentes entités pour en déterminer la plus grande. Seulement 2 élèves sur 22 ne voient pas l’Inspé comme ayant l’aire la plus grande. Sur quels éléments se basent les 20 élèves pour considérer l’aire occupée par l’Inspé? Est-ce qu’ils ont retenu mentalement l’aire représentée sur le plan cadastre ou étaient-ils plutôt influencés par le fait que l’Inspé est le bâtiment le plus imposant en hauteur dans tout le quartier scolaire?
C’est ainsi que la question 10 s’avère intéressante dans le sens qu’elle cherche à comprendre la réponse des élèves à la question 9. C’est grâce à cette question que l’on peut découvrir certaines stratégies spatiales utilisées par les élèves. En effet, les réponses fournies donnent lieu à quatre catégories d’explication qui informent sur les stratégies spatiales que les participants utilisent. La première catégorie de répondants procède à la comparaison entre l’Inspé et les autres entités spatiales du territoire étudié : « Car l’école est plus petite, le stade pareil et l’Inspé est très grand » (E13); « Je pense que l’Inspé a la plus grande surface » (E22); « J’ai recadré à peu près la taille des bâtiments » (E11). Cette comparaison évoque aussi la notion de proportion des entités les unes par rapport aux autres. La deuxième catégorie d’élèves fait appel à la visualisation pour se représenter mentalement le plan du quartier comme stratégie spatiale : « Je me souviens, sur la carte de la taille de l’Inspé » (E8); « En me rappelant que sur le plan l’Inspé était le plus grand » (E4); « J’ai visualisé le plan » (E9). Dans cette catégorie, un élève parle visiblement de sa capacité de se représenter mentalement l’espace en question selon une perspective azimutale : « On se fait une image d’en haut et on se fait une idée » (E10). La troisième catégorie des participants fait référence à la pratique spatiale qui émane de leur fréquentation quotidienne du territoire scolaire : « Quand je vais à l’école ou au judo, je passe par là et je vois l’Inspé qui est plutôt grande » (E20); « Parce que je suis déjà y allais » (E21). Dans cette même catégorie, un élève fait référence à la sortie de terrain réalisée au début de l’étude : « Car nous sommes allés à l’Inspé et pour moi cela était le plus grand aire » (E14). La quatrième catégorie, quant à elle, se base sur une connaissance de l’environnement scolaire bien ancrée : « Je sais que l’Inspé est la plus grande école ici » (E17); « Je sais où se trouve les choses autour de mon école » (E18). Ce type de réponses divulgue une certaine conviction ancrée chez l’élève qui peut indiquer une certaine appropriation du territoire fréquenté et dénoter un sentiment de contrôle.
Lors de la sortie organisée pour mesurer la hauteur des bâtiments du quartier groupe scolaire, les élèves ont appris à manipuler un télémètre laser. Ils placent l’outil par terre à la base de chaque édifice, en pointant vers le plafond de chaque niveau, ils prennent en note la valeur affichée à l’écran. Les élèves outillés d’un cahier et crayon notaient le nom du bâtiment et les mesures prises. Dans un lieu comme l’Inspé, le plus élevé de tout le quartier étudié, et qui se compose de plusieurs étages, les élèves prenaient la mesure de chaque étage tout en faisant une estimation approximative de l’épaisseur de la dalle qui sépare les étages.
Le traçage des emprises de chaque bâtiment sur le plan de la maquette s’est fait par plusieurs équipes de 4 à 5 élèves. La décision de diviser la classe en équipes permet à chaque groupe de travailler tout en bénéficiant d’un encadrement étroit de la part de l’enseignante à des moments différents. Cette séquence permet aux élèves de passer d’une petite échelle en 2D à une plus grande échelle, celle de la maquette, en 3D. Pour ce faire, les élèves ont recréé le périmètre du quartier groupe scolaire en multipliant les distances du plan de cadastre par l’échelle adoptée. Chaque équipe contribue au traçage des surfaces à occuper par les bâtiments du quartier. Cette activité a nécessité l’usage d’outils de mesure comme les règles pour mesurer les longueurs, les périmètres et les distances de même que les équerres qui étaient utiles dans le traçage des angles droits. Cette étape a permis aux apprenants d’appliquer la règle liée à la notion d’échelle. Lorsqu’on leur pose la question : « Comment faites-vous pour passer d’une petite échelle sur le plan cadastre à une grande échelle sur la maquette? », ils répondent : « On multiplie, mesurer la distance sur la petite échelle et la multiplier par l’échelle choisie pour l’agrandir. »
Une fois que les équipes ont terminé le traçage des emprises des entités, elles avaient à créer les édifices en 3D. Pour ce faire, elles devaient établir une échelle proportionnelle de la hauteur et créer les bâtiments à l’aide de matières recyclables comme des boîtes de carton, du papier et autres objets. Ensuite, les élèves ont procédé à la peinture des entités composant la maquette tout en faisant appel à leur côté esthétique. Il faut noter qu’au moment où les apprenants effectuaient le traçage des emprises des entités et leur création en trois dimensions, ils faisaient appel à leur perception projective de l’espace. Ainsi, ils avaient à déterminer les relations entre les différentes entités quant à leur positionnement (avant/après, devant/derrière, à gauche/à droite, en dessus/en dessous) et de la distance qui les sépare les unes des autres. De même, c’est en cette phase qu’ils ont utilisé les repères identifiés pendant la sortie de terrain pour les considérer au moment de la programmation du parcours du robot afin de ramasser les déchets du quartier. Aussi, ils ont fait appel à la perception euclidienne à l’aide de laquelle ils localisent les composantes du territoire représenté sur la maquette.
Il faut préciser que tous les élèves participants (CM2 = 5e année primaire) à cette étude sont initiés à la programmation dans le cadre du programme d’études du cours de technologies. Cependant, il a été nécessaire aux fins de la présente recherche et pour la participation à la Journée défi (« Challenge Day ») qui fait partie de l’intervention didactique planifiée, de pratiquer la programmation afin de permettre au robot de circuler dans le territoire du quartier représenté par la maquette, et de ramasser les différents types de déchets triés.
À la suite de cette séance de programmation, les élèves font un retour métacognitif afin de décrire leurs apprentissages. Certains élèves soulignent l’apprentissage du langage de programmation et autres habiletés : « J’ai appris à me servir de EV3 encore mieux que tout le temps. À me servir de EV3 et des capteurs, rotations, pinces, calcul mental » (E12). D’autres mentionnent les fonctions maîtrisées qui leur permettent de contrôler le mouvement du robot : « Aujourd’hui, j’ai appris à réparer les pinces, à faire reculer le robot et à réparer les capteurs de couleur quand il ne marche plus » (E11). D’autres, quant à eux, insistent sur la résolution de problèmes : « J’ai appris à régler les problèmes de mon programme » (E16); « J’ai révisé comment fonctionne la pince. On s’est trompé, mais on a juste eu à changer le port » (E4). À travers ces commentaires écrits par les élèves, on peut remarquer la nécessité d’effectuer un va-et-vient entre la programmation et la mise en essai du robot afin d’obtenir les mouvements souhaités chez le robot.
Figure 3
Séance de programmation et de mise à l’essai du robot
La Journée défi a été planifiée dans le but de présenter la maquette du quartier scolaire et de permettre aux élèves de mettre en œuvre la programmation dont le but est de guider le robot dans son circuit programmé afin de ramasser les déchets triés en trois couleurs (vert, bleu, jaune).
Après avoir accueilli les parents et les élèves, le directeur de l’école présente les consignes aux élèves. Chaque équipe s’occupe d’un robot qui effectuera le ramassage des déchets de l’un des trois bâtiments désignés : l’école maternelle, l’école primaire ou l’Inspé. Il informe les élèves que le défi durera deux heures et les trois équipes seront observées et évaluées par un juge et un arbitre. Les équipes avaient le droit d’aider légèrement le robot à se maintenir sur le bon chemin à parcourir, cependant si le robot dévie complètement du chemin, les élèves doivent revoir la programmation de l’itinéraire établi à partir de leurs tablettes. Une fois que l’équipe termine son essai, les membres de l’équipe doivent déconnecter le robot et le reconnecter pour un deuxième essai.
À la fin de l’activité Journée défi, les élèves étaient invités à faire un retour réflexif sur l’exercice vécu. L’analyse des réponses des élèves s’est basée sur trois catégories, à savoir les problèmes rencontrés, les causes de ces problèmes et les solutions possibles. L’analyse des retours réflexifs, rédigés par les élèves, permet de comprendre leur raisonnement face à ce qu’ils ont vécu.
Tous les élèves ayant participé à l’étude mentionnent le problème de connexion au Bluetooth qu’ils ont rencontré pendant la Journée défi : « Le Bluetooth ne marchait pas » (E7); « Le Bluetooth était souvent en échec de connexion » (E2); « Le Bluetooth ne se connecte pas au robot » (E15). Pour expliquer ce problème, ils s’accordent sur la quantité d’appareils qui étaient connectés dans la salle. Les appareils désignent le nombre des tablettes utilisées par les élèves, mais aussi les téléphones portables des parents qui ont assisté à l’activité : « Il y avait trop d’appareils dans la salle connectés en Bluetooth, cela peut entraîner des problèmes de connexion » (E5); « Beaucoup de téléphones étaient connectés au Bluetooth, le robot avait du mal » (E4). Une élève participante évoque cependant une question logistique qui va au-delà du nombre d’appareils connectés en soulignant qu’il s’agit d’un « problème de réseau » (E16). Pour éviter ce problème, les élèves proposent des solutions organisationnelles comme « Ne pas amener d’appareils connectés au Bluetooth [...]. Il faudra à l’avenir les laisser dehors dans une autre pièce » (E5); « Tous les adultes devraient se déconnecter » (E19).
Figure 4
Problème des capteurs de couleurs dû aux rayons du soleil
Un autre problème qui a été observé par plusieurs élèves concerne les capteurs de couleurs qui ne fonctionnaient pas adéquatement selon eux : « Les capteurs couleurs ne marche pas très bien » (E20); « couleur noir et blanc ensemble que le robot confonde avec le bleu » (E11); « Sur notre programme, on a dit au robot de tourner quand il détectait du noir, mais quand c’est le temps qui tourne il avait encore détecté le noir donc il tournait encore et encore » (E9). L’élève E9 suggère « [q]u’on mette des planches de couleurs plus petites ». Pour la même question, l’élève E5 écrit : « Le contour optique avait du mal à détecter les couleurs et en détecter le parcours à suivre. » Ce même élève explique que « [l]e reflet du soleil éclairait le sol d’une manière jaune qui perturbait le robot » et il suggère de « fermer les volets et tapisser le sol de feuilles blanches ». Dans le même sens, une élève indique que « [l]e robot confondait le bleu et le noir [...]. Il y avait un scotch blanc sur du noir et ça ressemblait à du bleu » (E19). Elle explique la solution adoptée par son équipe : « On mettait une feuille blanche par-dessus. » Les défis rencontrés par les élèves pendant la Journée défi semblent leur offrir un moment de réflexion sur les possibles solutions et une opportunité d’autorégulation.
La création d’une maquette, représentant le quartier scolaire et programmant le circuit d’un robot dans une perspective de développement durable dans le cadre du projet SmartCityMaker, semble mettre les apprenants dans un rapport actif à leur territoire scolaire. Allant de son observation à l’aide de cartes en deux dimensions, en passant par son exploration grâce à la visite du terrain jusqu’à sa représentation en trois dimensions. L’apprenant semble s’engager dans une approche enactive et créative de l’apprentissage dans le sens décrit par Leroy-Viémon (2008) et Varela (1997). En effet, il s’agit pour l’élève d’un cheminement de découverte et d’exploration d’un territoire de proximité où il entre en contact avec son environnement grâce à son corps et à une dynamique qui l’amènent vers ce que Leroy-Viémon (2008) appelle « le savoir sensoriel » (p. 93). Cet engagement sociocréatif a permis à l’élève de travailler sur un projet qui s’est constitué grâce à la création collaborative à travers un processus de coconstruction stimulant une intelligence collective (Hardouin, 2020; Taddei, 2018) concernant le territoire scolaire. Ainsi, il s’agit d’une forme d’agentivité par laquelle l’élève citoyen appréhende l’espace et s’engage dans sa transformation de manière participative (Barthes & Lange, 2018).
La création d’une maquette était un prétexte pour engager les élèves dans différents apprentissages signifiants mobilisant les habiletés spatiales en faisant appel à plusieurs disciplines. Ceci rejoint le consensus affirmé par Thémines (2011) et Mérenne-Schoumaker (2019) qui précisent que l’apprentissage du territoire n’est pas exclusif à la géographie. Cette discipline a permis aux élèves de localiser des entités, d’observer leur distribution sur le territoire, de s’orienter dans l’espace, voire de s’approprier un espace dont l’utilisation est éducative. Les mathématiques ont été appliquées pour mesurer les distances entre les entités composant le territoire en sollicitant la visualisation à travers la rotation mentale de la carte cadastrale en 2D à une maquette de 3D (Mix & Cheng, 2012; Newcombe & Shipley, 2015). À cela s’ajoute la manipulation de l’échelle et la mobilisation de différents concepts et formes géométriques tels l’aire, le périmètre, l’angle de 45°, le carré, le rectangle, le triangle, les lignes parallèles, les lignes perpendiculaires, etc.). Pour la programmation, les participants ont fait face, comme c’est le cas pour tout programmeur, à des erreurs (ex., le robot qui ne suit pas son chemin, qui tourne d’une manière répétitive, problème de connexion, etc.) ce qui les a obligés à s’autoréguler en révisant instantanément les codes afin de résoudre les problèmes qui émergeaient. Ceci a engagé les élèves dans la résolution de problèmes faisant appel à la pensée critique et la créativité, comme confirmé par Romero et Chiardola (2019). L’élève E16 l’a bien exprimé en disant : « J’ai appris à régler les problèmes de mon programme. » Cela rejoint ce que Wing (2010) a qualifié de penser en matière de problèmes et solutions. À côté de ces disciplines, l’élève communique oralement avec ses pairs, avec l’enseignante et le directeur en plus de documenter par écrit ses apprentissages grâce à la feuille du cheminement métacognitif. Il importe de ne pas négliger le recours à l’art étant donné que les élèves ont dû créer certains aspects du territoire à l’aide de matières à recycler (ex., création et coloration d’entités miniatures).
Sur le plan méthodologique, l’approche participative et collaborative fut appliquée par les élèves, mais aussi par l’équipe de recherche, incluant l’enseignante et la direction de l’école. Il convient de préciser que deux parents ont contribué aux activités de programmation grâce à leur expertise en informatique. Ainsi, on peut parler d’une capacité importante du travail interdisciplinaire entre les différents acteurs. Bien que le projet SmartCityMaker semble prometteur en ce qui a trait aux apprentissages interdisciplinaires réalisés avec les élèves et parmi lesquels la pensée spatiale joue un rôle intégrateur, certaines limites méritent d’être soulignées. En effet, il serait intéressant, grâce à des méthodes cliniques, d’étudier en profondeur comment la pensée spatiale est cognitivement mobilisée chez l’apprenant à travers les différentes activités vécues.
Le projet SmartCityMaker entraîne les apprenants dans un processus d’apprentissage de leur quartier scolaire combinant les techniques analogiques et numériques. Ainsi, la création d’une maquette comme démarche d’appréhension du territoire scolaire et de son évolution dans le temps a permis aux élèves de vivre différents apprentissages signifiants (analyse de cartes, observation du terrain, cueillette de données, création d’une maquette, programmation robotique, etc.). Ils se sont pleinement engagés dans un projet collectif, systémique, cocréatif, constitué de plusieurs étapes où ils ont étudié leur environnement scolaire dans une perspective écocitoyenne et géoprospective, démontrant ainsi leur capacité d’agir sur leur propre territoire. Étant donné la richesse des apprentissages interdisciplinaires véhiculés dans le projet SmartCityMaker et la mobilisation de différentes compétences transdisciplinaires (collaboration, résolution de problème, communication, créativité, pensée critique, etc.), nous recommandons d’exposer les élèves du primaire et ceux du secondaire à plus de projets axés sur les habiletés spatiales tout en exploitant le territoire scolaire.
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Aïcha Benimmas est professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Moncton, Canada. Elle détient une maîtrise en didactique et un doctorat (Ph.D.) en didactique de la géographie de l’Université Laval. Ses travaux de recherche portent, entre autres, sur l’interdisciplinarité, le raisonnement géographique, la formation pratique des futurs enseignants. Courriel : aicha.benimmas@umoncton.ca
Margarida Romero est professeure des universités à l’Université Côte d’Azur en France et professeure associée à l’Université Laval au Canada. Elle coordonne le Groupe de travail #Scol_IA sur les enjeux éducatifs de l’intelligence artificielle en éducation et codirige le programme international M.Sc. SmartEdTech. Ses recherches visent l’étude des compétences transversales, notamment en lien avec la pensée informatique et la résolution créative de problèmes. Courriel : margarida.romero@univ-cotedazur.fr